vendredi 25 octobre 2013

► LA VIE D'ADELE (2013)



 Réalisé par Abdellatif Kechiche ; écrit par Abdellatif Kechiche et Ghalya Lacroi, d'après la bande dessinée Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh.


… Et leurs yeux se rencontrèrent

On connait la passion de l’immersion d’Abdellatif Kechiche, immersion dans la vie des personnages qu’il met en scène, et aussi la fulgurance de sa réalisation en osmose avec des acteurs au jeu à l’impact cinglant. Comment allait-il s’emparer de cette histoire d’amour vive et soudaine entre deux jeunes femmes, librement inspirée par une bande-dessinée (Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh). A bras-le-corps, forcément, tant il y avait là de quoi saisir l’intense dans le quotidien, le sublime dans l’amour et le drame dans le vécu. Le réalisateur aime étendre ses histoires car il faut que ses personnages vivent et évoluent à l’écran comme dans l’existence qu’ils incarnent. Au fil des plans, c’est le fil du chemin d’une ado que l’on va suivre : hagarde, tremblante, troublante, Adèle bascule dans ce qui va être sa vie.


Dès le début, Abdellatif Kechiche insiste sur la quotidienneté répétitive d’Adèle (incroyable Adèle Exarchopoulos qui vibre de tout son être) : la sortie du pavillon familiale, l’arrivée au lycée, le cercle des copines. De la même façon qu’il pointe le désir encore inconscient d’un ailleurs chez cette jeune femme au regard souvent perdu, vagabond, en quête sans savoir de quoi. Dans cet horizon balisé, il y a l’amour des textes, ceux étudiés en classe qui vont directement faire écho à ce que va vivre Adèle avec Emma, la fille aux cheveux bleus (Léa Seydoux, qui se dépasse). Qu’il s’agisse du livre de Marivaux, La Vie de Marianne (la filiation du titre du film), d’une citation de Sartre sur l’existentialisme ou de passages de Francis Ponge, les références littéraires scandent leur statut de nourriture de l’âme. Pensées absorbées avec passion par Adèle qui digère cependant cela à sa façon car elle n’aime pas « quand les textes  sont trop décortiqués et analysés ». Elle a besoin du concret, de l’expérience de la vie. D’où une audacieuse et amusante comparaison entre Sartre et une chanson de Bob Marley. La pulsion de la vie, de l’affranchissement est déjà là.


La métaphore de la nourriture n’est pas anodine, outre la volonté du croquis du quotidien habituel chez le réalisateur, il y a cette fois-ci  une insistance récurrente sur l’acte de manger. De nombreuses scènes se passent autour du repas, que cela se passe au parc (avec Emma), dans la chambre (les sucreries) ou à table. Des gros plans isolent la bouche d’Adèle, dans son sommeil ou quand elle mange des spaghettis. Elle a de l’appétit (« je mange de tout, tout le temps, sauf les produits de la mer ») au sens propre comme au sens figuré. On voit poindre alors le rapprochement avec  l’appétence charnelle (« j’ai envie de toi ») dont le film n’élude rien. La chair s’y déguste avec fougue et une intensité due au jusqu’au-boutisme des deux actrices et à une réalisation scrutatrice sans être voyeuriste même si elle est explicite. Les deux corps enchevêtrés n’en forme plus qu’un au terme de corps à corps sur le même accord, celui des souffles de l’envie.


Le film se déroulant sur plusieurs années, il évite ainsi de se focaliser sur une période et donc de réduire à un événement les nouvelles sensations d’Adèle (on la découvre ado et on la quittera institutrice). La scène primitive de la rencontre est belle, simplement belle car il n’y a rien sinon un regard échangé furtivement et alors, soudain, il y a tout. Perdue au milieu de la route, Adèle vient de basculer dans sa vie, pas celle qu’elle suivait mollement, non celle qu’elle va vivre ardemment, maintenant. Cette rencontre avec l’autre, c’est avant tout une prise de conscience, qu’elle rejette d’abord vigoureusement face aux regards accusateurs (scène de la bagarre avec la copine) avant d’apprendre à évoluer dans un univers qui lui est étranger, d’apprivoiser, avec ses hésitations et ses ratés, ce qui peut autant combler que désespérer : l’amour. Le réalisateur laisse ainsi le temps imprégner les plans, marquer les cœurs  et nous accroche aux visages, aux peaux et aux larmes de ses personnages dans un ensemble évolutif violemment émouvant, passionnément tranchant.


13/10/13. Sélectionné et publié par Le Plus du Nouvelobs.fr
 

1 commentaire:

  1. Mouai, pas convaincue.
    (Une lesbienne m'a dit qu'il était vulgaire, ce film).

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