mercredi 15 janvier 2014

► YVES SAINT LAURENT (2014)

Réalisé par Jalil Lespert ; écrit par Jalil Lespert, Marie-Pierre Huster et Jacques Fieschi, librement adapté de l'ouvrage de Laurence Benaïm.


... Éclats

Troisième long métrage d’un Jalil Lespert que l’on connait plus en tant qu’acteur, cette réalisation vibrante du portrait d’Yves Saint Laurent devrait le faire découvrir en tant que réalisateur auprès du grand public. Disparu depuis 2008, le couturier aux nombreux qualificatifs laudatifs n’avait pas encore eu son image cinématographique fictionnelle, lui qui avait tant à faire avec les images précisément : celles de ses croquis, celles de silhouettes féminines qui l’inspiraient et sa propre image, celle certainement avec  laquelle il avait le plus de mal, lui le créateur à la timidité viscérale. C’est qu’il faut également du temps pour tisser sur grand écran une vie de cette ampleur que Jalil Lespert a voulu au plus près de ce qu’elle a été (librement inspiré par l’ouvrage de  Laurence Benaïm). Le compagnon de toujours, Pierre Bergé, lui a ainsi ouvert la malle aux souvenirs, faite de dessins orignaux, de photos, de costumes issus des collections, d’objets. Autant d’éléments épars, autant d’éclats d’existences que le réalisateur assemble avec soin pour faire défiler des décennies fondatrices de l’art de la mode en choisissant d’attirer notre regard vers l’alcôve refuge d’Yves Saint Laurent, les coulisses de sa propre vie…


Une scène située à la fin du film nous le montre d’ailleurs jeter un coup d’œil, comme au théâtre, dans un petit trou prévu à cet effet dans le rideau séparant les coulisses de la scène du défilé. Plus à l’aise en concevant qu’en se montrant, sa rencontre avec Pierre Bergé lui permit de se consacrer à la seule chose pour laquelle il n’éprouvait pas la sensation d’être perdu : la haute-couture. La marche en avant d’Yves (une focalisation sur le prénom lors de l’apparition du titre positionne sur le film sur l’objet de son attention) sera aussi le portrait en creux de Pierre Berger. « Qui êtes-vous ? » lui lance une journaliste. Il est l’homme de l’ombre tout autant que l’homme d’une vie, celle de celui qu’il va porter vers la lumière des défilés. Deux destins liés dont Jalil Lespert devait réussir le casting tant les éclats des personnages dans leur relation tumultueuse devaient trouver une juste interprétation.


Guillaume Gallienne continue ainsi de convaincre après son triomphe dans son propre film Les garçons et Guillaume, à table !, il compose une interprétation solide d’un homme à la fois amoureux, protecteur et accompagnateur. Et puis, bien sûr, il y a Pierre Niney, de la Comédie-Française, comme son camarade, qui devient Yves Saint Laurent. Le mimétisme saisissant se décline aussi bien physiquement qu’à travers le phrasé si particulier et reconnaissable du couturier en passant par la gestuelle jusqu’au détail qui fait sens (ce tic de réajuster ses lunettes). Loin de se retrouver piégé dans un carcan interprétatif, Pierre Niney arrive à faire siennes ces attitudes pour jouer sur les nuances et rendre la complexité d’un personnage à failles.


Car le réalisateur n’occulte pas les dérives qui ont été celles d’Yves Saint Laurent lors des premières  années de création. « Au pire, je ferai de mon mieux », cette belle formule est sa réponse lorsqu’il devient le directeur artistique chez Dior dont il était l’assistant. La déclaration, à valeur d’oxymore, contient en elle-même les descentes et les remontées qui seront celles du créateur. Sa timidité en public semble ainsi voler en éclats quand il s’agit, nuitamment, d’expérimenter les milieux interlopes, d’exacerber les désirs et de goûter aux paradis artificiels, sous les yeux désapprobateurs de Pierre Bergé. Subjugué par le talent et désemparé face à ce comportement destructeur. « Si tu veux mourir, moi je ne peux rien faire pour toi ». La force créatrice l’emportera sur le mal être et les tentations vers l’obscure, Yves atteignant même la sérénité dans une scène pleine de simplicité, celle du bonheur, lorsqu’il répond au « Questionnaire de Proust » dans la piscine. 


Ce portait ainsi intimiste consacré au couturier est fait de ces alternances d’humeurs, de privé et de public, d’éclats de voix et de génie. Jalil Lespert montre tout autant la naissance d’un créateur qui changea radicalement le vestiaire féminin que l’éclosion d’une passion, faite non pas de tissu mais de chair et d’esprit. Celle avec celui qui, en voix off, s’adresse précisément directement à son compagnon. A l’éclatant défilé final sur les envolées vocales de Maria Callas, aux lumières et aux flashes succèdent avec raison la silhouette au crépuscule (écho au début du film, dans la maison familiale à Oran, où de dos, face à la fenêtre, le jeune Yves trace des esquisses). Il y a le silence, l’apaisement, deux hommes, un amour.

12/01/14

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