mercredi 25 mars 2015

► HACKER (2015)

Réalisé par Michael Mann ; écrit par Michael Mann et Morgan Davis Foehl


... Les nerfs du cyber

Michael Mann est de retour et c’est forcément un évènement. Après nous avoir fait un coup à la Terrence Malick, à savoir disparaitre des écrans pendant de longues années, le cinéaste américain revient avec un thriller cybernétique dans un  style qui est incontestablement le sien. Alors qu’il nous avait laissé au cœur des années 30 avec Public Enemies (2009), Hacker nous entraine dans un XXIème siècle où la menace passe par la manipulation informatique. Point de départ : un incident se produit dans le réacteur d’une centrale nucléaire en Chine ; l’acte d’un mystérieux hacker aux obscures motivations. Le réalisateur aime mettre en scène la traque et la confrontation : comment oublier le duel entre Pacino et De Niro dans Heat (1995), le combat de Russell Crowe et Pacino contre l’industrie du tabac (Révélations, 1999) ou encore la collaboration forcée entre un chauffeur de taxi et un tueur à gages dans Collatéral (2004). Dans Hacker, cet antagonisme s’exprime par la coopération entre deux puissances mondiales : les États-Unis et la Chine dont les relations ne sont pas optimales. Mais deux ennemis peuvent vite s’allier pour contrer une menace commune. Le représentant chinois, Chen Dawai, obtient sous conditions la libération de Hathaway, un américain emprisonné, ancien camarade avec qui il avait créé le code informatique dont le hacker se sert. La sœur de Chen se joint à l’équipe, chaperonnée par l’agent Barret du FBI et un marshal chargé de surveiller Hathaway. Les forces en présence sont multiples, ce qui permet à Michael Mann de nous plonger au cœur d’un système pour mieux en décortiquer les tenants et les aboutissants. Une course contre la montre s’engage dans ce film au rythme ciselé qui entremêle le technologique et le physique, les réseaux informatiques et les liens humains. 


L’ouverture du film pose les bases d’une nouvelle géographie : celle d’une Terre irriguée par ses réseaux de communications. Ces autoroutes d’énergie électrique composées de codes informatiques qui, si elles mettent en relation le monde entier, sont aussi capables, par des chemins de traverse, de provoquer le chaos si ceux qui les empruntent sont mal intentionnés. La réalisation nous fait passer de l’infiniment grand (vue depuis l’espace) à l’infiniment petit (les circuits informatiques) par un effet d’engouffrement des plus réussis mais qui traduit une vulnérabilité insidieuse. Le virus gangrène le système et la caméra explore ces entrailles comme le film va pénétrer l’univers de ces pirates numériques. Remonter à la source : tel est l’objectif d’Hathaway qui s’engage dans la traque contre une remise de peine car il a bien conscience d’être un pion dont le gouvernement se sert. Le bracelet électronique qu’il porte est là pour le lui rappeler. L’agent Barret (Viola Davis) est toujours hantée par le 11-septembre et l’allusion résonne comme un constat : le terrorisme change de forme et à l’action spectaculaire se substitue l’action souterraine et anonyme. L’une des scènes les plus fortes se situent précisément dans un tunnel où s’affrontent la police et les sbires du hacker, la configuration des lieux obligeant à une progression à l’aveugle avec sans cesse un angle mort. Et c’est bien de cette façon qu’Hathaway et son équipe doivent progresser : rien n’est plus trompeur qu’un message informatique, manipulable à souhait. Un mail piégeur en sera l’illustration.


Cette assise du virtuel s’articule autour d’une traque bien réelle : le choix de Chris Hemsworth pour incarner Hathaway s’avère judicieux dans le sens où, en plus de l’expert informatique qu’il est, son corps musculeux incarne l’humain face à la machine, le mouvement face à l’immobilisme du hacker, la puissance physique face à la force de frappe de l’ordinateur. Car le hacker reste désincarné pendant la majorité du film : il n’existe qu’à travers ses actions qui sont des traces informatiques, à distance d’un combat où l’on ne tape pas que sur un clavier. Hathaway apparaît au contraire tout aussi efficace derrière un ordinateur que sur le terrain : la scène du restaurant est exemplaire dans  ce qu’elle révèle de la nature de l’affrontement. Le hacker les observe via le système de surveillance qu’est la caméra tandis qu’il leur envoie ses sbires. L’organique et l’électronique n’en sont pas encore au point de rencontre. L’équipe d’Hathaway multiplie les déplacements dans divers pays (voiture, avion, hélicoptère, métro) pour se rapprocher de la source. Il est intéressant de constater que Michael Mann ancre son récit pour une bonne partie dans le vieux Hong-Kong alors même qu’il est question de haute technologie : l’ancien et le moderne sont deux notions autour desquelles se déploie le film. Hattaway se voit désigner comme « obsolète » par le hacker, il a en effet passer ces dernières années en prison. Chen (Leehom Wang) déclare qu’il va falloir aller débusquer la source « à l’ancienne », en se rendant physiquement sur place. La confrontation avec le hacker n’a-t-elle d’ailleurs pas lieu lors d’une cérémonie traditionnelle ?


Hathaway est comme un trait d’union entre deux mondes, deux époques car c’est bien son code qui est ressuscité par le hacker et qui, malgré lui, réactive aussi l’homme puisque cela provoque sa sortie de prison. Car le film de Michael Mann, s’il est conçu autour d’une traque informatique, est également une histoire humaine : à la froideur du hacker qui ne conçoit le monde que comme une suite de 0 et de 1 répondent les relations qui se tissent entre les personnages de l’équipe et en particulier entre Hathaway et la sœur de Chen (Wei Tang). Angela Bennett était seule dans Traque sur internet (1995), l’union est primordiale dans Hacker, ce que n’hésite pas à renforcer le réalisateur en provoquant de brutales disparitions de personnages dans un élan pathétique. La mélancolie des personnages est une constante du cinéma de Michael Mann et elle affleure aux détours de plans parfaitement imbriqués dans un ensemble remarquable et esthétique qui culmine dans un face à face qui n’a plus rien de cybernétique. 

Publié sur Le Plus du NouvelObs.com


21/03/15

2 commentaires:

  1. Bravo pour cette critique qui vient au secours d'un film (cyber)attaqué de toutes parts. Voilà une lecture qui épouse parfaitement mon sentiment sur ce "Hacker" malheureusement mal vu. Certains voudraient y voir du James Bond stylisé, j'y vois au contraire un réalisateur qui s'attache autant aux formes qu'à l'humain qui en est le créateur. Mann questionne la virtualité relative du monde actuel (de l'impulsion électrique à l'explosion d'une centrale), la confronte à la substance même de ce monde (des circuits miniaturisés à ces filaments lumineux qui connectent les villes entre elles vu du ciel) et entre les deux place les êtres, fragiles et faillibles. Le travail de Mann à l'image est conforme à sa personnalité, unique en son genre, et cela constitue en soi déjà une valeur inestimable.

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  2. Bonjour, merci pour votre commentaire pertinent sur ce film qui le mérite. Ce serait en effet bien mal connaître Michael Mann que d'y voir un simple film d'action (bien qu'il en maîtrise évidemment les codes), sa façon d'aborder une ville, un personnage, une situation (ne serait-ce qu'à travers un discret ralenti) prouve si nécessaire que nous sommes là devant un film qui creuse en deçà de la surface...

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