Réalisé par Emmanuelle Bercot ; écrit par Emmanuelle Bercot et Marcia Romano
... Les nerfs en l'air
Prestigieuse vitrine à double
tranchant que de faire l’ouverture du Festival de Cannes : c’est à cet
honneur que s’est trouvée confronter la nouvelle réalisation d’Emmanuelle
Bercot, La tête haute. Même s’il est
présenté hors compétition, le film va à coup sûr marquer d’entrée le Festival
d’une façon forte et brutale. La réalisatrice n’y est pas une inconnue :
repérée dès ses débuts (son court
métrage Les Vacances y obtient le
prix du jury en 1997), elle fait preuve d’une constance dans l’approche des
histoires qu’elle met en scène. L’adolescence et le rapport au monde adulte
tient ainsi une place fondamentale et se trouve au cœur de La tête haute. On va y suivre la difficile existence d’un mineur à
la dérive entre une mère aimante mais immature et irresponsable, les différents
centres d’accueil et de placements et les entrevues régulières chez la juge des
enfants, qui tente d’offrir à ce jeune une vie qu’il n’a de cesse de mettre en
péril. Malony est ce qu’on pourrait appeler un petit délinquant : s’il a
bien commis des vols avec violence, il est surtout une boule d’énergie
négative, ce qui complique ses relations avec les autres et en particulier avec
l’autorité. En échec scolaire, il est au point mort concernant son avenir.
Forte tête, il adore sa mère qui est cependant incapable de gérer un tel ado,
étant elle-même un modèle peu recommandable. Inscrivant son propos dans une
veine sociale marquée, Emmanuelle Bercot tisse un drame exutoire entre des
personnages qui se heurtent pour mieux se rencontrer. Les éclats surgissent à
tout instant dans ce parcours nerveux où l’affect est une brèche qui révèle des
sentiments tortueux.
Le tribunal de grande instance de
Dunkerque est un des lieux récurrent du film, et en particulier le bureau de la
juge pour enfant qui jalonne la vie du jeune Malony. Il n’est qu’un enfant
quand sa mère l’y abandonne après une crise de nerfs. Cette scène inaugurale,
particulièrement bien traitée, pose les enjeux et les protagonistes que l’on
retrouvera par la suite. La réalisatrice choisit un montage sec et fébrile qui
accompagne l’énervement qui règne dans le bureau, tout en préférant cadrer
l’enfant au détriment de la mère. Malony est le témoin d’une mère qui a déjà
renoncé à son rôle tandis que seule la voix de la juge se fait entendre dans un
premier temps, ce qui est important puisqu’elle sera tout au long du film celle
qui, précisément, dira l’autorité et la justice, d’un ton ferme mais mesuré.
Les caractères et les situations ne sont là que conflit : le mal être
couve et ne fera que s’amplifier. La juge devient ainsi une sorte de mère par
substitution, celle qui impose le respect et pose les règles. C’est d’ailleurs
bien la seule à qui Malony semble porter un certain respect : elle sait
lui imposer un comportement presque respectueux à son égard. Les scènes
récurrentes dans ce bureau sont parmi les plus réussies et les plus poignantes.
Catherine Deneuve (qui était le personnage principal du précédent film de la
réalisatrice, le road-movie Elle s’en va)
est formidable dans ce rôle qui demande une stature et un aplomb. On ressent
son empathie pour celui qu’elle voit (mal) grandir, entre espoir et déception,
la juge ne ménage pas ses efforts : « Nous posons les rails mais c’est à eux de conduire la locomotive ».
Co-scénariste du Polisse de Maïwenn,
Emmanuelle Bercot retrouve l’univers voisin de celui de la brigade des mineurs
avec ses situations familiales détériorées mais centre son film sur le cas de
Malony où bouillonne la rage.
Avec La tête haute, la réalisatrice va assoir sa réputation de
découvreuse de talent puisqu’après avoir lancé Isild Le Besco, elle offre au
jeune Rod Paradot un rôle énergique et consistant qui lui permet d’imposer son
jeu détonant. Malony ne sait pas gérer ses émotions, il suffit d’une étincelle
(comme la remarque de la directrice du collège) pour déclencher un accès de
colère violent alors même qu’il était calme auparavant. Ce comportement n’est
pas sans nous rappeler celui de Steve dans le Mommy de Xavier Dolan. Avec ce personnage qui, ne se trouvant pas
s’en prend aux autres, Emmanuelle Bercot s’inscrit dans la lignée du Petit voleur (1999) d’Erick Zonca,
premier film de Nicolas Duvauchelle dont Rod Paradot ressemble d’ailleurs au
même âge. La patience des éducateurs est mise à rude épreuve : ils sont le
réceptacle de la fureur de Malony, qui, comme les autres jeunes qu’il côtoie
dans les centres, est toujours dans la provocation, dans le besoin de se
mesurer à l’adulte pour exister dans une répartie vociférante. Il alterne des
phases d’attention et d’explosion, la séquence de l’écriture de la lettre de
motivation illustre bien ce tempérament volcanique. Le film prend d’ailleurs le
temps de souligner la difficulté du travail de ces éducateurs. Malony peut
ainsi se montrer excessif comme plaintif : il faut le voir ému aux larmes
lorsqu’il est séparé, à plusieurs reprises, de sa mère. Rares moments où
s’exprime enfin une fragilité confinée. Comment peut-il alors réagir au surgissement
du sentiment amoureux que va lui renvoyer une rencontre ?
Car les personnages qui gravitent
autour de Malony sont tels des miroirs de vie, chacun incarne à sa façon une
facette d’un manque, d’un désir ou d’une crainte. La juge est cette figure maternelle
autoritaire mais conciliante (ne vient-elle pas partager un gâteau
d’anniversaire avec Malony ?) que ce dernier redoute et espère. Sa mère
(Sara Forestier retrouve là une fraicheur de jeu qui fait plaisir à voir) est
l’image de ce qu’il ne doit pas reproduire, source d’amour comme de reproches.
Yann (Benoît Magimel), l’éducateur qui travaille avec la juge se meut en figure
paternelle, lui, ancien délinquant également qui interroge les limites du
possible. Ou encore ce bref passage où Malony réconforte un nouvel arrivant au
centre, se revoyant dans cette situation. Enfin, Tess (Diane Rouxel), la jeune
fille qu’il rencontre et qui le met face à ce qui sera peut-être le plus
dur : l’existence en lui d’un ressenti plus fort que la haine. Mais les
impulsions peuvent-elles si facilement faire place à l’émotion ? Cinquante-six
ans après le célèbre Quatre Cent Coups
de François Truffaut, Emmanuelle Bercot visite une jeunesse difficile actuelle
avec un sens incisif de l’immersion et de la confrontation. La tête haute est dans l’épicentre des
remous de l’adolescence où tout se joue et se dénoue dans le face à face d’une
existence et d’une conscience.
Publié sur Le Plus du NouvelObs.com
14/05/15
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