Réalisé par Robert Zemeckis ; écrit par Robert Zemeckis et Christopher Browne, d'après l’œuvre de Philippe Petit
... Le libre équilibre
Il y a une certaine logique à ce
que le cinéma de Robert Zemeckis ait fini par faire sienne la vie du funambule
français Philippe Petit. Le réalisateur n’est-il pas celui qui permet aux rêves
les plus extraordinaires de se réaliser ? Des adolescents prêts à tout
pour assister au concert des Beatles dans son premier film (Crazy day) au destin fabuleux de Forest Gump en passant par le désir
étoilé d’une enfant d’écouter l’espace dans Contact.
Le cinéaste américain, avec l’aide si besoin des dernières technologies
(Performance capture pour Le Pôle express),
permet à ses personnages de franchir les limites du pensable et même de les
envoyer dans le futur (on vient de célébrer mondialement la date du 21 octobre
2015, jour d’arrivée de Marty McFly dans
Retour vers le futur II). L’aventure vraie de The Walk ne pouvait donc qu’intéresser Zemeckis, celle d’un jeune
français débarquant à New-York dans les années 70 avec pour seul objectif un
désir fou : relier les deux tours jumelles du World Trade Center en
marchant sur un câble. Bien que funambule expérimenté, Philippe Petit est face
à une performance historique tant les éléments à prendre en considération sont
démesurés. Outre le caractère évidemment illégal de l’entreprise, l’édifice
donne le vertige : 110 étages, le plus haut du monde à l’époque de sa
construction, et surtout 43 mètres entre les deux toits, la distance à
parcourir sur un fil d’acier pour Philippe Petit. C’est donc vers le passé que The Walk nous entraine, celui d’un monde
pré-11 septembre où se construit encore ce qui sera détruit demain. Le souvenir
des tours hante forcément le film comme les spectateurs, ce qui donne à
l’ensemble une aura particulière. En 2009, l’Oscar du meilleur documentaire est
attribué à Man on Wire (Le funambule) qui retrace brillamment les
étapes de cette épopée à la manière d’un polar. Robert Zemeckis, dont le film
s’inspire du même ouvrage écrit par Philippe Petit, parvient à capter l’énergie
du téméraire français et à faire de sa folle ambition une fiction émotionnelle
entrainante.
Le documentaire consacré à
l’exploit avait déjà bien saisi le potentiel dramatique de cette histoire
incroyable, Robert Zemeckis la reprend dans un style ludique et dynamique qui
va de pair avec l’engouement du funambule. Ce dernier nous apparait d’ailleurs
au sommet de la torche de la statue de la liberté, déjà dans ses nuages,
compagnons d’altitude. Le film sera le conte d’une histoire vraie, Philippe
Petit lance face caméra une adresse au spectateur et l’invite à suivre son
récit. Une connivence immédiate s’établit avec lui par ce regard normalement
proscrit au cinéma. Outre le symbolisme du lieu, cette ouverture aérienne
permet également d’inscrire dans l’arrière-plan l’objet du désir : les
tours, qui semblent attendre leur audacieux prétendant. « Je vois quelque chose de magnifique qui
m’inspire » témoigne Philippe Petit dans le documentaire et The Walk va rendre compte de cette force
attractive et obsédante en déclinant l’image des tours via une représentation
évolutive. D’abord découvertes sous forme d’une photo dans un journal, elles
deviennent de façon amusante deux bouteilles reliées par un fil puis une maquette
en bois, avant, enfin, de s’incarner dans toute la réalité de leur verticalité.
Ce cheminement marque la permanence d’un rêve d’adolescent, celui qu’on garde
au fond de soi en attendant le grand jour (jolie idée de la marche d’escalier
escamotable où le jeune homme cache l’article de presse). C’est dans cet esprit
que Robert Zemeckis fait intervenir l’univers du cirque : quel enfant n’a
pas été fasciné par les voltiges sous le sommet du chapiteau ? Mais
combien en ont gardé l’ardent désir de se hisser dans les hauteurs et d’en
transcender l’exercice. Car là est la particularité de cet exalté funambule :
agencer sa vie autour de la réalisation invraisemblable de son « coup » comme il le nomme. « C’était impossible, alors on l’a fait »
déclare-t-il au spectateur enthousiasmé.
C’est avec beaucoup de vitalité
que Joseph Gordon-Levitt donne corps à Philippe Petit, il a ce côté juvénile
qui sied parfaitement au personnage et se démène avec entrain lors des
préparatifs avec ses complices. Car l’expédition est aussi une affaire d’équipe
(dont sa petite amie Annie) qui souligne l’importance de la cohésion de
personnes qui ont permis à la chimère d’un homme d’aboutir à sa concrétisation.
La bonne humeur est ce qui domine avant l’instant fatidique et la réalisation
fait de l’aventure quelque chose de très stimulant pour l’œil du spectateur. Si
Philippe Petit a innové avec sa marche dans les airs, Robert Zemeckis a lui toujours
aimé travailler la forme de ses films (Qui
veut la peau de Roger Rabbit ? proposait déjà une expérience
singulière), il est donc en accord avec le sujet qu’il filme en lui donnant une
originalité certaine. De la séquence en noir et blanc tachetée de couleur à la
manipulation du temps en attendant le monte-charge jusqu’au moment de bravoure
au-dessus du vide, le film se montre créatif. The Walk évite ainsi un écueil : ne faire de ce qui précède
l’évènement qu’un prétexte. Au contraire, ce qui a déjà été montré donne plus
d’ampleur à la traversée puisqu’elle est attachée à un destin qui trompe la
mort : « Pour moi, marcher sur
ce fil, c’est la vie ». La sobriété est choisie à juste titre pour cet
instant magique, les mouvements de caméra ne sont pas excessifs, quelques notes
au piano de la Lettre à Élise de
Beethoven effleurent le funambule. Même si la 3D n’est pas native (le film a
bénéficié d’une conversion), l’effet produit est spectaculaire et provoque le
vertige des sens, Robert Zemeckis donne vie à une prouesse qui n’était jusqu’à
lors que témoignages et photographies. La caméra se fait aussi légère que
l’homme et place le spectateur au bord du vide mais au cœur du rêve. Ces
inimaginables acrobaties soulèvent un émoi, suscitent un émerveillement entretenu
par la réalité d’un homme qui fit d’une pensée incroyable un moment de poésie
en libre équilibre.
Publié sur Le Plus de L'Obs.com
31/10/15
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