Réalisé par Paul Greengrass ; écrit par Paul Greengrass et Christopher Rouse
... Le mouvement dans la peau
Matt Damon avait prévenu :
il n’endosserait de nouveau le rôle de Jason Bourne que si le réalisateur Paul
Greengrass reprenait la saga en main. Ce dernier s’était en effet retiré du
quatrième opus qui devait faire suite au succès de La vengeance dans la peau (pas moins de 3 Oscars en 2008). Le film
s’était alors quand même fait mais sans l’acteur ni le réalisateur, faisant de
cette histoire (Jason Bourne :
L’héritage) une ramification à l’univers originel, créant pour l’occasion
un autre héros (porté par Jeremy Renner) directement touché par les événements
provoqués par Jason Bourne dans les films précédents. Paul Greengrass étant de
retour, son acteur fétiche (avec qui il tourne ici son 4ème film) rempile
donc pour une aventure haletante. La saga (commencée en 2002) a réussi à
s’imposer au fil des ans comme une référence dans le genre du film d’action et
d’espionnage et est surtout parvenu à faire entrer Jason Bourne, tueur repenti
manipulé par la CIA, dans la galerie des personnages de cinéma qui compte.
Adaptés des romans de Robert Ludlum, les trois premiers films ont tissé une
toile nébuleuse autour des projets secrets de l’agence américaine de
renseignement et de ses pratiques sans concession. Tous les films ont ainsi
cette particularité d’être reliés entre eux avec un fil rouge : Treadstone. Nom d’un programme de la CIA
dont est issu Jason Bourne. Ce cinquième opus réveille les vieux démons d’un
programme qui n’a pas fini de faire des vagues. Retiré loin des conspirations,
l’agent en fuite voit surgir une figure de son passé : Nicky Parsons
(seule rescapée des films précédents) qui le contacte pour lui transmettre des
documents qui font apparaître sous un autre angle le projet Treadstone. Cette découverte fait à
nouveau de Jason Bourne une cible que la CIA compte définitivement abattre, à
moins qu’elle n’essaie de le rallier…Paul Greengrass retrouve d’emblée ses
réflexes qui lui avaient permis de marquer la saga de son empreinte énergique.
Cette immersion, entre poursuites et trahisons, sécrète une adrénaline
jouissive qui nous laisse le souffle court et la rétine en alerte.
« On the move ! » : certainement l’exclamation la plus
utilisée dans la saga tant elle est caractéristique du mouvement perpétuel qui
agite les protagonistes et ce cinquième film ne fait pas exception à la règle.
Il n’y aura aucun répit : laissé pour mort dès la première image du film
inaugural (La mémoire dans la peau)
comme dans celle du dernier avec Matt Damon (La vengeance dans la peau), ce corps en suspension dans l’eau finit
toujours par reprendre vie. Il n’est donc pas étonnant de retrouver un Jason
Bourne passant le temps en combattant à mains nues des adversaires dans des
lieux sordides pour une poignée de billets. L’ex-agent en étant réduit à
utiliser la seule chose qu’il lui reste : sa carrure et ses techniques de
combats, perpétuant malgré-lui l’héritage empoisonné de Treadstone. Jason Bourne est un mort-vivant (la caméra de Paul Greengrass
pointe d’ailleurs furtivement les impacts de balles sur son dos) qui se sert
presque mécaniquement d’un corps qui reste celui d’un homme qu’il n’a plus
voulu être. Mais dans l’impossibilité de redevenir un David Webb (sa vraie
identité) qui n’existe plus, son destin n’est-il pas de continuer à être Jason
Bourne ? On le voit bien : dès que Nicky le remet en selle, il
retrouve tous ses réflexes, il reste programmer pour agir, le titre du film
n’est-il d’ailleurs pas tout simplement son prénom et son nom ? Comme une
identité qui lui colle à la peau, on ne se débarrasse pas de ses oripeaux
façonnés par les services secrets. C’est
en tous cas ce que croit la CIA qui envisage même de le réintégrer ! A
moins qu’il ne s’agisse là que d’une manœuvre ?
Car les habitués de la saga
savent qu’une parole cache toujours un mensonge: Jason Bourne est autant un
film d’action que d’espionnage et ce cinquième opus s’inscrit pleinement dans
le cyber-monde qui est le nôtre. Si la technologie et les écrans ont toujours
été au cœur du dispositif de traque de Jason Bourne (les scènes dans les
centres de contrôle avec les chefs et les opérateurs sont des éléments typiques
de la saga), ils prennent ici une autre dimension. En effet, le film introduit
en écho aux problématiques actuelles sur les réseaux sociaux et la vie privée,
le personnage d’Aaron Kallor (sorte d’avatar de Mark Zuckerberg) dont
l’ambition de créer un gigantesque réseau public sur Internet intéresse la CIA
pour les raisons que l’on devine. Sous couvert de liberté, c’est bien de
surveillance généralisée dont il s’agit. « Si tu sors des écrans, tu vis », cette sentence de Jason
Bourne résume son approche de la dissimulation, lui qui n’a eu de cesse de fuir
son image démultipliée par des écrans de surveillance. Paul Greengrass reprend
le principe du montage parallèle qui dynamise les scènes de traques (sur le
terrain et en salle de commandement) et leur confère ce côté terriblement accrocheur
qui fait la spécificité de la saga). De même, fidèle à son style reportage
(avec caméra en mouvement, recadrages nerveux et montage épileptique), il
électrise l’action comme il avait si bien su le faire dans les opus précédents.
Tommy Lee Jones (Dewey) et Alicia Vikander (Heather) sont à la tête des
recherches et font preuve de la même hargne que leurs prédécesseurs. Aux scènes
de poursuites mémorables des films précédents s’ajoutent des séquences tout
aussi performantes comme la traque pendant des émeutes en Grèce qui multiplie les
embûches de manière frénétique avec entre autres la menace de l’Atout (le tueur
mandaté par la CIA pour éliminer Jason Bourne), interprété par notre Vincent
Cassel national (qui continue avec succès sa carrière hollywoodienne). Retour
aux sources dans tous les sens du terme pour ce Jason Bourne qui évolue
néanmoins avec son temps et prouve qu’il est un mort bien vivant.
Publié sur Le Plus de L'Obs.com
11/08/16
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