Réalisé par Denis Villeneuve ; écrit par Michael Green et Hampton Fancher
... Vestiges futuristes
Forcément attendue entre crainte
et jubilation, la suite du cultissime Blade
Runner (1982, d’après un roman de Philip K. Dick) se dévoile enfin, 35 ans
après un film qui marqua toute une génération de spectateurs, et pas seulement
les amateurs de science-fiction. Son réalisateur, Ridley Scott, qui a ces
dernières années repris le flambeau d’un autre mythe qu’il avait également initié,
à savoir Alien, laisse cette fois la
place convoitée au très bon Denis Villeneuve (l’américain restant néanmoins
producteur exécutif). Le canadien enchaine donc avec un projet conséquent mais
sous les meilleurs auspices : il sort en effet de la réalisation de Premier contact (2016), un succès public
et critique qui l’a fait s’immerger avec talent et originalité dans le genre
fantastique. Ce qui ne pouvait que lui permettre d’aborder au mieux l’univers
de Blade Runner. Souvenons- nous :
Los Angeles, 2019, dans une ville terne et humide, Rick Deckard, est contraint
de reprendre du service. Il est chasseur de « replicants », ces êtres humanoïdes, difficilement différentiable
des humains, créés par la Tyrell Corporation pour en faire des sujets
corvéables dans leurs colonies. Jusqu’au jour où une poignée d’entre eux, parmi
les plus évolués, se révoltent, s’enfuient et se cachent au sein de la ville.
La traque commence pour Deckard mais cette mission n’aura rien d’habituel,
troublé par Rachel, une replicant qui
ignore son statut, l’agent éliminateur devra faire des choix qui changeront sa
destinée… 30 ans se sont écoulés depuis les événements du film précédent, si
Los Angeles est toujours là, sa densification a explosé, la Tyrell Corporation
a disparu mais pas ses ambitions. Neander Wallace, un puissant entrepreneur,
continue de fabriquer ces humains alternatifs tandis que la police de L.A
poursuit l’éradication des anciens modèles. K est un blade runner et un androïde
chargé d’éliminer certains de ses semblables moins récents. Ses certitudes vont
être bouleversées par la découverte d’un secret qui pourrait renverser la
hiérarchie et l’idéologie établies : une replicant aurait donné naissance à un enfant… S’il conserve l’esthétique
cyberpunk du premier opus, Denis Villeneuve s’émancipe du film noir et de l’influence
du cinéma expressionniste allemand, éléments chers au film précédent, pour s’approprier
admirablement cet avenir anxiogène. Thriller futuriste de grande tenue, ce Blade Runner nouvelle génération réussit
la continuité tout en développant, artistiquement et scénaristiquement, un
univers riche qui donne une véritable consistance à cette suite au suspense
mystérieux et attractif.
La tâche n’était pas aisée et
pourtant Denis Villeneuve s’en sort donc avec les honneurs, il parvient à
avancer tout en regardant en arrière et en fait même le principe fondateur de
ce nouveau film : les allusions au passé ne sont ainsi pas qu’un prétexte
à d’artificiels clins d’œil, elles sont des éléments constitutifs forts de l’intrigue.
K (Ryan Gosling, impeccable) va devoir remonter le fil du temps mais avec sa
vision et sa situation personnelle : la question du regard, sur soi, sur
autrui, demeure, n’est-ce pas d’ailleurs à l’aide de l’un des motifs récurent
du film de 1982 que s’ouvre celui de 2017 (la pupille) ? K exerce son
métier sans état d’âme, solitaire, il occupe une place ambigüe dans cette
société chaotique : avoir l’apparence de l’humain sans en être un, être un
replicant qui en fait disparaître d’autres ;
il est honni des deux côtés. L’humanoïde fermier du début lui reproche son
acte tandis que ses voisins, comme ses collègues policiers humains, le désigne
par une périphrase méprisante : « peau
de robot ». Son seul réconfort et son unique distraction réside dans
la liaison qu’il entretient avec…un hologramme (Ana de Armas). La réalisation
ménage d’ailleurs son apparition (voix hors champ) pour un effet de surprise
qui joue sur le décalage entre la normalité attendue et la situation singulière
de K, acculé au robotique même dans sa vie privée. Et pourtant, c’est une
véritable relation qu’ils entretiennent, loin de l’impersonnelle publicité qui
tapisse numériquement les façades. Leurs sentiments, eux, n’ont rien de
virtuels, comme c’était le cas dans l’excellent Her (2013). C’est d’ailleurs elle qui va le baptiser, le faisant
passer du K désincarné, simple lettre de matricule comme une négation de l’individu,
maintenu dans l’aliénation (comment ne pas penser au personnage homonyme de
Kafka dans Le château) au Joe
humanisant. Plus son présent dévoile sa complexité, plus le passé qu’il traque
le fait devenir plus qu’une copie d’être humain…
Comme dans le récent Alien Convenant, il est question du
créateur et de ses créatures à travers le personnage de Wallace (Jared Leto)
qui, dans une même scène, s’octroie le droit de vie ou de mort, sur sa
progéniture humanoïde. Son assistante, ironiquement nommée Luv (Sylvia Hoeks),
et qui sera lancée aux trousses de K, malgré sa froideur, laisse couler une
larme devant ce spectacle démiurgique. A la manière d’un Citizen Kane (1941), Blade
Runner 2049, fait du vestige et de l’enfance la clé de tout : un petit
cheval de bois hante les souvenirs de K, réelle réminiscence ou mémoire
implantée (thématique qu’on retrouve évidemment dans Total Recall (1990), toujours inspiré de Philip K. Dick) ? Les
retrouvailles du spectateur avec Deckard
(Harrison Ford) ont ainsi lieu dans les ruines métaphoriques d’un hôtel suranné,
dans une atmosphère ocre qui tranche avec le bleu nuit qui étouffe sans fin L.A
depuis le premier film et qui perdure ici. Cette colorimétrie de la mélancolie,
associée aux nappes sonores jadis émises par Vangelis et désormais confiées au
fameux Hans Zimmer, colle parfaitement au personnage de K qui traine son désenchantement
comme une âme en peine, mais encore faudrait-il qu’il est une âme, précisément.
La question existentielle posée par le premier film, en particulier à travers
le personnage de Roy, rebondit et se prolonge en ouvrant une nouvelle voie qui
est celle de la filiation. Citant habilement un dialogue de L’île au trésor de Stevenson qui met en parallèle
Jim et Ben Gunn / K et Deckard, Denis Villeneuve inscrit son film dans le
sillon de la quête initiatique dont la figurine de bois sera le symbole. Malgré
d’importants effets spéciaux numériques, le film a su conserver cette attention
aux personnages et aux situations, suscitant une émotion bien humaine, jouant,
à l’instar des protagonistes, sur le souvenir du spectateur. Nourri du passé, Blade Runner 2049 grandit dans le
présent et tisse le futur avec la même élégance que ces flocons de neige
tournoyants au-dessus de Joe.
04/10/2017
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