mercredi 4 octobre 2017

► BLADE RUNNER 2049 (2017)

Réalisé par Denis Villeneuve ; écrit par Michael Green et Hampton Fancher


... Vestiges futuristes


Forcément attendue entre crainte et jubilation, la suite du cultissime Blade Runner (1982, d’après un roman de Philip K. Dick) se dévoile enfin, 35 ans après un film qui marqua toute une génération de spectateurs, et pas seulement les amateurs de science-fiction. Son réalisateur, Ridley Scott, qui a ces dernières années repris le flambeau d’un autre mythe qu’il avait également initié, à savoir Alien, laisse cette fois la place convoitée au très bon Denis Villeneuve (l’américain restant néanmoins producteur exécutif). Le canadien enchaine donc avec un projet conséquent mais sous les meilleurs auspices : il sort en effet de la réalisation de Premier contact (2016), un succès public et critique qui l’a fait s’immerger avec talent et originalité dans le genre fantastique. Ce qui ne pouvait que lui permettre d’aborder au mieux l’univers de Blade Runner. Souvenons- nous : Los Angeles, 2019, dans une ville terne et humide, Rick Deckard, est contraint de reprendre du service. Il est chasseur de « replicants », ces êtres humanoïdes, difficilement différentiable des humains, créés par la Tyrell Corporation pour en faire des sujets corvéables dans leurs colonies. Jusqu’au jour où une poignée d’entre eux, parmi les plus évolués, se révoltent, s’enfuient et se cachent au sein de la ville. La traque commence pour Deckard mais cette mission n’aura rien d’habituel, troublé par Rachel, une replicant qui ignore son statut, l’agent éliminateur devra faire des choix qui changeront sa destinée… 30 ans se sont écoulés depuis les événements du film précédent, si Los Angeles est toujours là, sa densification a explosé, la Tyrell Corporation a disparu mais pas ses ambitions. Neander Wallace, un puissant entrepreneur, continue de fabriquer ces humains alternatifs tandis que la police de L.A poursuit l’éradication des anciens modèles. K est un blade runner et un androïde chargé d’éliminer certains de ses semblables moins récents. Ses certitudes vont être bouleversées par la découverte d’un secret qui pourrait renverser la hiérarchie et l’idéologie établies : une replicant aurait donné naissance à un enfant… S’il conserve l’esthétique cyberpunk du premier opus, Denis Villeneuve s’émancipe du film noir et de l’influence du cinéma expressionniste allemand, éléments chers au film précédent, pour s’approprier admirablement cet avenir anxiogène. Thriller futuriste de grande tenue, ce Blade Runner nouvelle génération réussit la continuité tout en développant, artistiquement et scénaristiquement, un univers riche qui donne une véritable consistance à cette suite au suspense mystérieux et attractif.

La tâche n’était pas aisée et pourtant Denis Villeneuve s’en sort donc avec les honneurs, il parvient à avancer tout en regardant en arrière et en fait même le principe fondateur de ce nouveau film : les allusions au passé ne sont ainsi pas qu’un prétexte à d’artificiels clins d’œil, elles sont des éléments constitutifs forts de l’intrigue. K (Ryan Gosling, impeccable) va devoir remonter le fil du temps mais avec sa vision et sa situation personnelle : la question du regard, sur soi, sur autrui, demeure, n’est-ce pas d’ailleurs à l’aide de l’un des motifs récurent du film de 1982 que s’ouvre celui de 2017 (la pupille) ? K exerce son métier sans état d’âme, solitaire, il occupe une place ambigüe dans cette société chaotique : avoir l’apparence de l’humain sans en être un, être un replicant qui en fait disparaître d’autres ; il est honni des deux côtés. L’humanoïde fermier du début lui reproche son acte tandis que ses voisins, comme ses collègues policiers humains, le désigne par une périphrase méprisante : « peau de robot ». Son seul réconfort et son unique distraction réside dans la liaison qu’il entretient avec…un hologramme (Ana de Armas). La réalisation ménage d’ailleurs son apparition (voix hors champ) pour un effet de surprise qui joue sur le décalage entre la normalité attendue et la situation singulière de K, acculé au robotique même dans sa vie privée. Et pourtant, c’est une véritable relation qu’ils entretiennent, loin de l’impersonnelle publicité qui tapisse numériquement les façades. Leurs sentiments, eux, n’ont rien de virtuels, comme c’était le cas dans l’excellent Her (2013). C’est d’ailleurs elle qui va le baptiser, le faisant passer du K désincarné, simple lettre de matricule comme une négation de l’individu, maintenu dans l’aliénation (comment ne pas penser au personnage homonyme de Kafka dans Le château) au Joe humanisant. Plus son présent dévoile sa complexité, plus le passé qu’il traque le fait devenir plus qu’une copie d’être humain…

Comme dans le récent Alien Convenant, il est question du créateur et de ses créatures à travers le personnage de Wallace (Jared Leto) qui, dans une même scène, s’octroie le droit de vie ou de mort, sur sa progéniture humanoïde. Son assistante, ironiquement nommée Luv (Sylvia Hoeks), et qui sera lancée aux trousses de K, malgré sa froideur, laisse couler une larme devant ce spectacle démiurgique. A la manière d’un Citizen Kane (1941), Blade Runner 2049, fait du vestige et de l’enfance la clé de tout : un petit cheval de bois hante les souvenirs de K, réelle réminiscence ou mémoire implantée (thématique qu’on retrouve évidemment dans Total Recall (1990), toujours inspiré de Philip K. Dick) ? Les retrouvailles du spectateur avec  Deckard (Harrison Ford) ont ainsi lieu dans les ruines métaphoriques d’un hôtel suranné, dans une atmosphère ocre qui tranche avec le bleu nuit qui étouffe sans fin L.A depuis le premier film et qui perdure ici. Cette colorimétrie de la mélancolie, associée aux nappes sonores jadis émises par Vangelis et désormais confiées au fameux Hans Zimmer, colle parfaitement au personnage de K qui traine son désenchantement comme une âme en peine, mais encore faudrait-il qu’il est une âme, précisément. La question existentielle posée par le premier film, en particulier à travers le personnage de Roy, rebondit et se prolonge en ouvrant une nouvelle voie qui est celle de la filiation. Citant habilement un dialogue de L’île au trésor de Stevenson qui met en parallèle Jim et Ben Gunn / K et Deckard, Denis Villeneuve inscrit son film dans le sillon de la quête initiatique dont la figurine de bois sera le symbole. Malgré d’importants effets spéciaux numériques, le film a su conserver cette attention aux personnages et aux situations, suscitant une émotion bien humaine, jouant, à l’instar des protagonistes, sur le souvenir du spectateur. Nourri du passé, Blade Runner 2049 grandit dans le présent et tisse le futur avec la même élégance que ces flocons de neige tournoyants au-dessus de Joe.  

04/10/2017

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