mercredi 20 février 2013

► LES ADIEUX A LA REINE (2012)

Réalisé par Benoît Jacquot; écrit par Benoît Jacquot et Gilles Taurand, d'après le roman éponyme de Chantal Thomas.


...Corps et âme

Il y a six ans nous découvrions une Marie-Antoinette rock mise en image par Sofia Coppola, celle de Benoît Jacquot est bien différente car son film commence là ou se termine l’histoire de la reine déchue (interprétée par Diane Kruger). Quatre jours à Versailles, du 14 au 17 Juillet 1789, vont nous êtres racontés au travers les yeux de la jeune lectrice de la reine, Sidonie (Léa Seydoux). Le dévouement absolu de cette dernière est fortement marqué dès le début et pose les jalons d’une relation particulière et excessive. Cette horloge qui sonne pour tirer Sidonie de son sommeil est comme un ordre qui claque, une mécanique royale à laquelle se soumet avec plaisir la lectrice, pourvu qu’elle soit aux côtés de sa douce reine. La voilà qui s’apprête et se parfume à la violette comme on va à un rendez-vous galant. Elle court même, quitte à chuter dans la boue dans l’indifférence (situation prodromique) pour ne pas manquer le rendez-vous avec sa maîtresse, qui ne l’est qu’au sens de Reine.

Le contraste est évidemment saisissant entre les deux chambres qui se succèdent : la chambre de bonne de Sidonie et celle de la reine, sous les dorures. Le caractère intime de leur relation est accentué, outre par le lieu, par la tenue légère de la reine, en chemise de nuit. Cela dit, la domination de cette dernière fait très vite peser le soupçon sur le degré d’intimité supposé. Malgré les apparences, dont se contente et se réjouit Sidonie, l’une donne les ordres, l’autre exécute. Ainsi, voir la reine soigner les piqures de sa lectrice comme on prend soin d’une poupée est tout aussi ambigu que révélateur d’une relation dominante /dominée dont Sidonie est la victime consentante. Benoît Jacquot a déjà eu l’occasion d’explorer ce genre de relations troubles avec son film précédent Au fond des bois (2010).


C’est une Marie-Antoinette elle-même subjuguée par une autre femme, la Duchesse de Polignac (Virginie Ledoyen), qui se donne à voir, en proie à la tourmente de son cœur alors que sa situation de reine touche à sa fin. Un triangle de femmes passionnées pris dans la grande Histoire. C’est toute une ambiance fin de règne qui va ainsi agiter le film à travers une réalisation toujours sur le qui-vive, qui multiplie les mouvements secs de caméras, n’hésitant pas à utiliser le zoom dans un cadre, qui, comme ceux qui le traversent, traduit l’agitation et la précipitation. De nombreuses séquences filmées caméra à l’épaule nous montrent Sidonie de dos qui parcourt les couloirs à vive allure comme un monde se bouleverse, comme un cœur qui s’accélère plus l’étau de la fin se resserre.


Car si les évènements ne parviennent que de façon diffuse à la Cour, ce n’est de toute façon pas la préoccupation première de Sidonie, qui ne vit ce tournant qu’à travers les tourments de sa reine. Une seule chose lui importe : être à ses côtés, quitte à se nier elle-même. Le fait qu’elle cache à la reine son talent de brodeuse uniquement pour ne pas risquer de ne plus être sa lectrice est éloquent. Son dévouement dépasse tout et elle veut bien assister à la tendresse amoureuse de la reine pour la duchesse, tant qu’elle peut la contempler elle. Quand la reine lui confie sa passion absolue et lui demande si elle peut s’imaginer ce bonheur, l’acquiescement de Sidonie vaut bien sûr pour celle à qui elle fait face. Mais cette Marie-Antoinette amoureuse n’en n’est pas moins perverse, car elle joue de cet amour admiratif que lui porte sa lectrice pour qui elle affiche parfois de l’ignorance, parfois du mépris ou encore de l’insatisfaction. « Estimez-vous heureuse des confidences que je vous fais ! » lâchera-telle pour seule reconnaissance.


De la même façon que Sidonie vit les événements à travers sa maîtresse, Marie-Antoinette les vit au travers la menace qui pèse sur la tête de sa duchesse favorite. Le roi a en effet refusé de quitter Versailles, la condamnant ainsi à rester, ce qui l’affecte profondément. Le réalisateur profite alors de cette déchéance qui guette pour faire une citation visuelle du fameux dernier plan des Liaisons dangereuses (Frears, 1988). A Glenn Close devant sa glace faisant tomber le masque des apparences succède le visage démaquillé, la perruque retirée, d’une Marie -Antoinette meurtrie face à son miroir, aux sentiments en péril mis à nu. De même, une longue et forte séquence, qui se déroule dans un long couloir où les membres de la cour tiennent  conciliabule à la lueur des bougies, instaure cet état d’urgence, ce feu qui couve. Un monde s’écroule et ce tumulte du peuple, dont on ne verra rien, a déjà gagné le cœur du pouvoir, à l’instar de ce couloir bruyant. Et la liste des têtes à coupées circule. La discrète mais efficace musique à base d’instruments à cordes (violons, violoncelles, contrebasses) ponctuent le crescendo dramatique qui trouve son acmé dans le sacrifice ultime de la lectrice pour sa reine.


Désireuse naïve et jusqu’au-boutiste, amoureuse à sa façon, Sidonie obéit à sa reine en toutes circonstances. En effet, répondant au souhait désespéré de sa maitresse pour sauver sa bien-aimée à qui elle a demandé de fuir, elle accepte de servir d’appât en se faisant passer pour la Duchesse. La voilà parée des atours de cette dernière, telle une poupée dont on change la panoplie. Son corps nu fait écho à celui de la Duchesse entrevu auparavant par Sidonie. Réduite à l’état de corps-objet, c’est finalement là le plus grand rôle que lui donnera la vie. Le jeu de l’amour et des apparences avait déjà permis à Benoît Jacquot d’en faire un très bon film, La fausse suivante (2000). On retrouve ici l’ambiguïté des sentiments et des gestes puisqu’à travers ce déguisement, la lectrice devient celle qu’elle a rêvée d’être : celle qui serait aimée de la reine tandis que cette dernière ne voit encore que l’image de celle qu’elle sauve et non pas le sacrifice de celle qui endosse les habits.


La voilà devenue quelqu’un qu’on salue et même si on la prend pour une autre, cela n’a pas d’importance puisque dans les yeux de ceux qui la regardent, elle est la favorite de la reine, elle est aimée et sait que même loin d’elle, à travers sa mission, elle continue de la servir. Et pour un instant, pour l’éternité d’un ralenti, elle savoure sa descente d’escalier dans ses nouveaux habits. La lectrice n’est plus, elle est une femme, une femme qui garde son énigme, qui sourit à la vie, à la mort. Qu’importe, elle a obéit.


20/02/12

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