samedi 27 avril 2013

► THE GRANDMASTER (2013)

Réalisé par Wong Kar-wai; écrit par Xu Haofen, Jingzhi Zou et Wong Kar-Wai 


... Le mouvement des êtres

Nous n’avions pas revu Wong Kar-wai depuis My blueberry nights en 2007 et ses errances romantiques et mélancoliques en Amérique. La surprise était donc légitime lorsque l’on a su qu’il allait mettre en scène un film autour de la vie de Ip Man (interprété par Tony Leung, son acteur fétiche), un célèbre maître chinois d’art martial, futur mentor de Bruce Lee. Qu’est-ce que le Kung-fu venait faire dans la filmographie du fameux réalisateur de In the mood for love (2000)? Or, les connaisseurs se souviennent que son troisième film s’essayait déjà à un autre genre bien particulier, celui du Wu Xia Pian (film de sabre) à travers Les Cendres du temps (1994), à la réception difficile et dont il proposa d’ailleurs une version remontée (Cannes 2008). Il n’est donc pas novice dans l’art de mettre en scène des combats aux ressorts spécifiques. Ainsi, il est d’emblée intéressant de voir comment un cinéaste, que la majorité des spectateurs ne connaisse pas dans ce registre, va s’approprier un autre univers. Car Wong Kar-wai n’a pas subitement changé de style, il s’agit bien sûr moins d’un film de kung-fu qu’une réflexion sur le kung-fu. Et donc d’une philosophie de vie, qui, si elle va bien s’illustrer par le combat, va être dominée par une histoire d’amour, inévitablement teintée de tristesse.


La majestueuse séquence d’ouverture  (affrontement sous la pluie de Ip man contre une multitude d’assaillants) offre d’ailleurs une quintessence visuelle qui éblouit. Comme si le réalisateur nous montrait immédiatement qu’il sait aussi filmer un combat tout droit sorti de Matrix Revolutions (scène similaire de Néo se battant contre l’agent Smith démultiplié sous une pluie diluvienne). Et que son art peut tout autant s’y illustrer. Focalisation sur des détails (le chapeau, les gouttes d’eau sur le sol, le pied) souvent filmés au ralenti, au milieu des coups et des attaques. Wong Kar-wai abandonne ici la tentation de l’abstraction vers laquelle tendaient les combats des Cendres du temps. Car la démarche est de mettre en valeur la beauté de ce qu’on appelle à raison art martial. Le travail d’orfèvre de la réalisation fait écho à celui des prises qui ne sont pas juste des coups mais des actions nominatives qu’il faut savoir agencer et distribuer. Une première séquence forte donc pour mieux être diluée par la suite. A la différence du diptyque consacré à la vie du maître (Ip Man 1 et 2, Wilson Yip) qui mettait en exergue de nombreux combats, Wong Kar-wai privilégie évidemment ce qui ne l’est habituellement pas dans les films du genre, à savoir le lyrisme, à travers les deux experts en combat que sont Ip Man et Gong Er (Zhang Ziyi, qu’il avait déjà fait tournée dans 2046).


Wong Kar-wai évite de se servir du kung-fu comme simple toile de fond, les destins des personnages sont étroitement liés à leur pratique et aux préceptes même de leur art. Car chacun des deux en maitrise un différent, lui le Wing Chun, elle le Ba Gua. « Nous nous découvrons à travers l’échange avec l’autre » professait sagement Huo à propos de l’art martial dans Le maître d’arme (Ronny Yu, 2006). Et en effet, la rencontre entre Ip Man et Gong Er est un moment de bravoure, et, alors même qu’il s’agit d’une démonstration de combat, on y retrouve ces regards, ces hésitations, ces frôlements de peau si caractéristique au réalisateur. Ballet martial et amoureux dans un même élan. On passe ainsi, parfois de façon abrupte, comme cela était le cas dans son As tear goes by en 1988 (où amour et bagarre s’entrechoquaient déjà et où la violence surgissait comme un coup soudain), d’un tableau typique de Wong Kar-wai (la scène du buffet au ralenti sur un air d’opéra) au combat précité. L’amour est encore plus esquissé que lors de ses films précédents, à peine le mouvement d’un effleurement et les destins se vivront différemment. Car il y a Ip Man, qui avance et vit (ce qui sera souligné par la citation finale de Bruce Lee) tandis que Gong Er se choisit un but : le sacrifice pour honorer son héritage, celui de l’art que lui a transmis son père.


C’est ce personnage féminin qui est certainement le plus tortueux, l’accomplissement de son désir (défier le disciple qui a trahi son père) étant lié au renoncement. Son combat floconneux est d’une grâce subtile, la poésie côtoie la tension dramatique sur un quai de gare où au ras d’un train qui passe au ralenti se joue et se déjoue l’existence. Le train continue sur sa voie, comme Ip Man, qui traverse ses saisons de vie (récurrence des photographies sépia) tandis que Gong Er cède à l’aiguillage d’une voie sans issue. Le choix du kung-fu permet ainsi à Wong Kar-wai de donner une ampleur nouvelle à ses thématiques, la virtuosité chorégraphique des corps donnant la réplique aux épanchements d’âmes cinématographiques.    


17/04/13

Sélectionné et publié par le Plus du nouvelobs.com

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