jeudi 23 mai 2013

► LE PASSÉ (2013)

Réalisé par Asghar Farhad ; écrit par Asghar Farhad, adapté par Massoumeh Lahidji.


... Se souvenir de l'avenir

Déjà récompensé à Berlin, aux Oscars et aux Césars, le réalisateur iranien Asghar Farhadi le sera peut-être cette année au Festival de Cannes où son film est en compétition. Cela serait mérité car Le passé est une nouvelle réussite du réalisateur d’Une séparation (2010) (Oscar meilleur film étranger l’année dernière). Il nous introduit à nouveau dans son univers dramatique de prédilection : la cellule familiale gravitant autour du couple. Pour la première fois, l’action ne se déroule pas en Iran, mais en France, dans la banlieue parisienne. Ce changement géographique lui permet de mettre l’accent sur une thématique fondamentale du film, à savoir ce qui fait retour. Car, comme l’annonce le titre, le présent est hanté par le souvenir ou plutôt par les souvenirs. En effet, chacun des protagonistes est retenu par une histoire que le présent n’a pas su clore et cette prégnance du passé va précisément s’incarner dans le retour d’Iran d’Ahmad (Ali Mosaffa) à qui Marie (Bérénice Bejo, impeccable en mère troublée) a demandé de venir officialiser leur divorce (le thème de la cassure du couple était déjà à l’œuvre dans Une séparation). Elément humain déclencheur et révélateur de tensions sous-jacentes dans une famille recomposée minée par les doutes, les incertitudes et les non-dits. Le réalisateur nous livre ainsi un poignant tableau psychologique sur les affres familiales et sentimentales de personnages perdus au sein d’un même foyer, toujours avec cette finesse d’approche, toujours avec cette maîtrise rigoureuse de la mise en scène des histoires et des lieux.

Car Asghar Farhadi confère toujours à ses décors une fonction dramatique (on se souvient de la maison de plage ouverte aux quatre vents et aux vitres brisées dans A propos d’Elly (2009), réceptacle de l’éclatement relationnel à venir entre les amis), la maison de Marie en travaux (on refait les peintures) est un écho à l’appartement de La fête du feu (2006), lui aussi en plein chamboulement comme l’est le couple qui y vit. L’arrivée d’Ahmad à l’aéroport donne lieu à une intéressante séquence muette où, Marie et lui, séparés par une vitre, se voient mais ne s’entendent pas. Le problème de communication en latence est ici posé sobrement, par la signifiance de l’image. L’ex-mari revient dans un présent qui n’est plus le sien, les filles de son ancienne femme ont grandi, les choses ne sont plus là où elles étaient et les références récurrentes à la peinture fraîche, sous l’aspect anecdotique, rappelle ces passés qu’on essaye de camoufler sous une couche de peinture, sous une nouvelle couche de vie.

Marie vit en effet avec un nouveau compagnon qu’elle va bientôt épouser, Samir (Tahar Rahim), et son fils qu’il a eu avec sa femme, dans le coma suite à une tentative de suicide. Ce qui ne pourrait être qu’un mélodrame amoureux s’impose  au contraire comme un drame brut où chaque rouage concourt à mettre les personnages face à eux-mêmes. Ahmad arrive en pleine crise familiale, comme l’employée de maison de La fête du feu se retrouvait malgré elle au cœur d’une dispute conjugale,  puisque la fille aînée de Marie, Lucie, ne supporte pas Samir. La rencontre entre les deux hommes traduit la difficile cohabitation entre le passé de l’un et le présent de l’autre: réparant l’évier, Ahmad a les mains sales et ne peut donc serrer la main tendue. Le contact n’a pas lieu. C’est le symbole d’une difficile jonction, entre les adultes mais aussi entre les enfants, figures importantes du film. Les deux plus petits (la fille cadette de Marie et le fils de Samir) seront sujets à des dissensions comme leurs parents (l’histoire des cadeaux). Quant à Lucie, un lourd secret la ronge et accentue les tensions entre un trio déstabilisé qui ne s’avoue pas les choses (pourquoi Marie a-t-elle réellement fait revenir Ahmad ? Pourquoi a-t-il vraiment accepté ? Samir est-il  si détaché de sa femme comateuse ?).

Le film instaure subtilement cet équilibre entre les différents personnages, alternant focalisation et distanciation, pour rendre au mieux des parcours de vie qui l’espace de quelques jours, au même endroit, se télescopent. La maison, où les places de chacun sont mouvantes (les lits) devient l’emplacement de l’étouffement commun. Marie, à l’instar de Firouzeh dans Les enfants de Belle Ville (2004), ouvre souvent la fenêtre vers la voie ferrée. Espoir d’un nouvel aiguillage. Et comme dans ses précédentes réalisations,  Asghar Farhadi sait aussi nous surprendre et jouer du suspense, les révélations, comme ce personnage secondaire qui devient un élément clé dans les relations conflictuelles, est à l’image du film. A savoir comment ce qui est au loin, dans le temps et dans le plan, là-bas, qu’on avait oublié, dont on ne voulait pas se souvenir ou qu’on ne voulait pas dire, s’impose au fur et à mesure dans une parole, dans un geste, dans un chemin qu’on rebrousse.  

17/05/13
 

1 commentaire:

  1. Je pense voir ce long-métrage, prochainement.

    Et "Abus de faiblesse" aussi, j'adore les deux protagonistes.

    Il ne me reste plus qu'à trouver du temps.

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