mardi 28 mai 2013

► ONLY GOD FORGIVES (2013)

Écrit et réalisé par Nicolas Winding Refn.


... Hypnotique mélancolie 


Après l’envoûtant Drive (2011), unanimement salué, le réalisateur Nicolas Winding Refn nous embarque à nouveau dans un voyage singulier et sans concession. Plus brutal, plus radical, plus abstrait que son précédent film mais tout aussi esthétique, captivant et mélancolique. Only God Forgives vous accapare l’œil comme il tranche dans vos sens. De façon visuelle, sonore et émotionnelle, le film déploie ses tableaux crépusculaires d’un Bangkok décadent où règne la loi du talion. La mort du frère de Julian (Ryan Gossling, qui retrouve le réalisateur qui l’a mené à la consécration et dont la seule présence habite le cadre) déclenche un règlement de compte sanglant entre le chef de la police, Chang (impassible Vithaya Pansringarm) et la mère des deux frères (méconnaissable Kristin Scott Thomas, vénéneuse et  malsaine vengeresse). Peu de paroles, peu de personnages car ce cercle restreint se suffit à lui-même dans une démarche filmique funambule entre contemplation, action et sensation.  


Le film baigne dans une teinte vermeille dominante, comme si les décors étaient déjà imprégnés du sang à jaillir. Cette pesanteur est accentuée par le côté nocturne de la majeure partie des scènes et par la volonté du réalisateur de claustrer ses personnages, en particulier Julian, dans un espace labyrinthique (chambre, couloirs, bar) où s’esquissent des rapports, où s’ébauchent des vies, où plane la mort. L’ensemble est très stylisé et tend vers une certaine abstraction qu’on trouve par exemple chez David Lynch. Nicolas Winding Refn joue ainsi du rêve et du cauchemar (la prestation sensuelle de la fille), de l’étrange (l’eau devenant sang dans le lavabo) et de décalages incongrus dans le contexte oppressant de l’histoire (scène récurrente du chef de la police au karaoké). Les décors et les lumières colorées très travaillées confèrent au film cette atmosphère singulière qui nous happe et fait de certaines séquences de violence des moments surréalistes.


Car la férocité est une constante dans le cinéma du réalisateur (son premier film qui inaugurait une trilogie, Pusher (1996), en portait déjà l’empreinte quand Bronson (2008) traduisait son attrait pour les destins extrêmes) mais il ne se livre jamais à sa mise de scène de façon anodine. On retiendra entre autres les sévices que fait subir Chang à celui qui lui a envoyé des tueurs. Dans un décor grandiloquent de cabaret, entre deux bouquets de fleurs, le pire se déroule devant les yeux sagement fermés d’une assemblée féminine pomponnée. L’esthétique du contraste est le maître mot de cette déambulation sanguinaire qui aurait pu être celle de Kill Bill (Tarantino) (la mère vengeresse, Chang et sa lame) mais qui n’en n’est rien. Car Only God Forgives se singularise par sa forme comme on l’a vu mais aussi par une histoire qui ne suit pas le fil qu’elle avait pourtant initié.


Le héros de Drive n’est pas celui de ce film, et pourtant, Julian, qui s’occupe d’un club de boxe, nous est montré dans une posture guerrière (analogie avec la statue du boxeur) mais ce n’est pas lui qui monte sur le ring. De la même façon, il est rabaissé par sa mère dominatrice (scène du restaurant où il se sent obliger d’amener une fille qu’il fait passer pour sa copine) qui lui préférait son frère, ce frère qu’il dit ne pas pouvoir venger. C’est toute une posture virile qui est ici déconstruite jusqu’à la confrontation à mains nus avec Chang qui inscrira sur le visage meurtri la réalité en latence. Julian n’est pas cette bête féroce qu’était One-Eye dans le Valhalla Rising (2009) du même réalisateur et que sa mère aimerait qu’il soit. Il porte au contraire sa mélancolie comme on porte le fardeau d’une existence. N’avait-t-on pas demandé à sa mère d’avorter de cet être différent ? De l’inconvénient d’être né écrivait Cioran. Pris dans des désirs qui ne sont pas les siens, Julian a peut-être là l’occasion de choisir son destin. Ainsi, expérience sensorielle, Only God Forgives, use avec un raffinement violent des ressources cinématographiques pour une descente hypnotique dont on sort à la fois soufflé et subjugué.

22/05/13

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire