samedi 24 janvier 2015

► CAPTIVES (2015)

Réalisé par Atom Egoyan ; écrit par David Fraser et Atom Egoyan


... Au bout de l'hameçon

Habitué du festival de Cannes, le réalisateur canadien Atom Egoyan y a présenté l’année dernière son dernier film, Captives. S’il a obtenu à deux reprises le prix du jury œcuménique (De beaux lendemains en 1997 et Adoration en 2008), il n’aura pas été distingué cette année pour ce qui est néanmoins un thriller abyssal captivant. Son film précédent, Devil’s Knot (2013), étrangement sorti directement en vidéo chez nous, traitait d’un fait divers tragique qui bouleversa l’Amérique au début des années 90 : 3 enfants disparaissaient et étaient retrouvés égorgés. C’est encore d’enfance dont il est question dans Captives, d’enfance volée, manipulée, bouleversée. De nombreux films ont mis en scène ce genre d’histoire d’enlèvement, comme le récent Prisoners de son compatriote Denis Villeneuve ; mais Atom Egoyan choisit de l’aborder d’une façon bien particulière, à travers un kaléidoscope de points de vue et de temporalités. En effet, le film n’est pas constamment déroulé de façon linéaire, ce qui n’entrave pas la compréhension mais lui donne au contraire un nouvel éclairage à chaque avancée. Soit une disparition : celle de Cassandra, la fille de Matthew et Tina, un jour de neige, aux abords d’une route. Ce n’est pas l’enquête immédiate qui intéresse le cinéaste mais comment, d’une part, des années plus tard, un espoir peut subsister et si des retrouvailles sont possibles. Dans une mise en scène au cordeau, Atom Egoyan nous immisce, d’autre part, dans la relation psychologique que l’enfermement a créée entre le ravisseur et sa victime. Étonnant puzzle où la torture n’est pas physique mais mentale, non violente mais perverse et qui surtout révélera sa signification sombre et saisissante dans ce film haletant et troublant.


« Il ne me reste rien d’autre à faire aujourd’hui que de me souvenir » chantonne Cassandra (Alexia Fast) devenue adolescente dans sa geôle. Avant d’entamer une conversation avec son ravisseur. La scène a de quoi surprendre, surtout que nous sommes au tout début du film. Si la lourde porte blindée qui donne accès à cette pièce cachée ne nous avait pas été montrée, l’appréciation de l’instant aurait été différente. Et c’est bien cette étrangeté que va cultiver Atom Egoyan à travers son histoire. Sa mise en scène pointe d’ailleurs, à chaque fois que le ravisseur vient parler avec la jeune fille, le fait que la porte est clairement et grandement ouverte en arrière-plan. Moyen cinématographique d’indiquer que la prison est bien plus psychologique que physique. L’homme a l’ascendant sur Cassandra et sait qu’elle ne tentera pas de s’échapper. Que s’est-il passé durant les années de captivité qui ont précédé ? Le film n’en dira rien et se distingue ainsi intelligemment d’un propos convenu. Toutes les premières scènes, articulées autour des différents protagonistes à venir, sont des morceaux, à ce moment absconds, de situations à venir. Cette apparence éclatée brouille les cartes et attise l’intérêt tout autant qu’elle met l’accent sur le thème de la chansonnette de Cassandra : la mémoire. Matthew a transformé sa voiture en mausolée, Tina vient d’année en année faire un point sur l’enquête, Nicole (Rosario Dawson), l’inspectrice aura une tirade sur son enfance difficile et son collègue Jeffrey (Scott Speedman) aura l’impression de reconnaitre quelqu’un en Matthew. Tous sont hantés de souvenirs cristallisés par la disparition de Cassandra.


« Vivre me manque » souffle Tina (Mireille Enos)  à Nicole qu’elle rencontre à intervalle régulier. Derrière la souffrance se dessine en creux la dislocation d’un couple qui nous apparaît en lambeaux. Toujours montrés séparément avec un jeu d’opposition intérieur / extérieur, ils avancent avec un même souvenir mais sur des routes différentes. Là encore, l’ellipse est de mise et Atom Egoyan ne fait qu’esquisser volontairement l’éloignement. On comprend que Tina considère Matthew (Ryan Renolds, en père éprouvé mais déterminé comme pouvait l’être celui de Lovely Bones) comme responsable de la disparition de leur fille : pas besoin d’en rajouter, le cinéaste sait user de l’économie pour conférer une couleur à une scène, une sensation à un comportement. Matthew se tient à distance des policiers pour qui il a de la défiance, ce qui ne l’empêche pas de continuer à espérer, comme on le voit avec les affiches de recherche qu’il placarde. Mais cela l’enferme dans le souvenir : il voit Cassandra en chaque jeune fille qu’il croise sur le bord de la route et s’astreint à aller regarder patiner l’ancien partenaire de sa fille. Cette attente du retour est ce qui le fait vivre et l’emprisonne à la fois. D’ailleurs, c’est tout en subtilité que la mise en scène reproduit ce cloisonnement commun à l’ancien couple. Un mouvement panoramique inaugural nous montre le paysage enneigé : le vide, l’absence, sont déjà là tandis que le côté circulaire du balayage annonce l’aspect répétitif de vies qui tournent en rond autour d’un même centre, Cassandra.


Et une personne est à la manœuvre : le ravisseur qui se rêve en démiurge (Kevin Durand, tout en préciosité). Il est présenté comme tel au milieu de ses écrans de surveillance, il semble se repaître de sa position dominante et prend plaisir à voir les réactions de ceux dont il provoque les réactions. Dès le début, on se rend compte qu’il filme en effet  à son insu Tina dans son travail. Cette dernière est femme de chambre et elle découvre régulièrement dans les chambres dont elles s’occupent des objets lui rappelant Cassandra. Mise en scène glaçante et voyeuriste, organisée par le ravisseur,  et dont le caractère malsain redouble quand on s’aperçoit que Cassandra visionne quotidiennement ces mêmes images. Le caractère maléfique du personnage est induit dès le début par une référence à l’air de la Reine de la nuit, fameux passage de l’opéra de Mozart La flûte enchantée (1791), que le ravisseur diffuse sur un écran. Aussi trompeur et manipulateur que son modèle opératique, il utilise Cassandra à des fins qui dépassent l’enlèvement, étant même prêt pour cela à fournir à sa captive de la matière à émotion. Jamais sordide malgré son sujet, le film aborde finement la force des sentiments qui sont autant un drame qu’une espérance.

Publié sur Le Plus du NouvelObs.com
 
10/01/14 

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