mardi 17 février 2015

► IT FOLLOWS (Prix de la critique internationale, Deauville 2014)

Écrit et réalisé par David Robert Mitchel


... La virée du virus

C’est en 2010 que le Festival du film américain de Deauville révèle le réalisateur David Robert Mitchell en lui décernant son prix du Jury pour The Myth of the American Sleepover. Mais, faute de sortie en salle, les spectateurs devront attendre 2015 pour se laisser séduire et envouter par son deuxième long métrage It Follows. David Robert Mitchel bénéficie à nouveau d’un prix à Deauville l’année dernière (celui de la critique internationale), le festival prouve qu’il ne s’est pas trompé en misant sur un réalisateur que beaucoup vont découvrir et apprécier à cette occasion. Car It Follows est un film de genre protéiforme aux images soignées qui nous attire irrésistiblement dans son atmosphère frissonnante. Habitué du monde adolescent à qui il avait déjà consacré son premier film, le cinéaste aborde cette fois-ci sa thématique par le biais de la peur et du surnaturel. Jay est une belle jeune fille qui flirte avec Hugh, tout semble allait pour le mieux dans cette tranquille zone résidentielle américaine, jusqu’au basculement soudain dans un cauchemar éveillé. Hugh lui transmet, volontairement et pour se sauver lui-même, quelque chose qui n’a pas de nom, quelque chose qui suit sa proie pour la tuer, quelque chose qui peut prendre l’apparence de n’importe qui. Voilà Jay prise au piège d’un phénomène inexplicable, son seul avantage : la chose traque en marchant, ce qui lui laisse la possibilité de fuir, encore et encore, mais jusqu’à quand ? David Robert Mitchel captive avec un film à l’adrénaline addictive qui se double d’une métaphore sur la transmission d’un plaisir devenu un fléau mortel.


Dans la file d’attente d’un cinéma, Jay (Maika Monroe) propose à Hugh de jouer à un jeu basé sur l’observation : troquer sa vie contre celle de quelqu’un d’autre. A savoir, l’un doit deviner qui l’autre aimerait être parmi les gens alentour. Jay ne sait pas encore à quel point cet amusement anodin est prémonitoire, elle qui va être contrainte de scruter tous ceux qui l’entourent, devenus de potentielles menaces. En effet, la chose qui a infecté Jay peut prendre l’apparence d’un inconnu comme d’un ami. Ce qui place le film dans la lignée des classiques de la science-fiction comme L'Invasion des profanateurs de sépultures (Siegel, 1956). David Robert Mitchel revendique d’ailleurs sa cinéphile à travers It Follows en mettant à l’honneur deux extraits de films des années 50, le genre était alors en plein essor, dont Les tueurs de l’espace (W. Lee Wilder, 1954) qui met en scène des êtres aux yeux globuleux venus d’ailleurs. Le film n’est pas sans évoquer aussi The Faculty (Rodriguez, 1999) et son groupe d’adolescents confrontés à un organisme inconnu. Car Jay n’est pas seule à affronter cette innommable menace : ses amis l’accompagnent dans cette épreuve. Le réalisateur conserve à dessein un ton adolescent mais son esthétique et sa formidable mise en scène le distingue durablement des productions plus conventionnelles. Comme dans The Myth of the American Sleepover, ces jeunes personnages (les adultes sont pour ainsi dire absents) ont les préoccupations de leur âge, sauf que le badinage a laissé place aux rapports physiques et que ces derniers sont devenus vecteurs d’un mal insidieux.


Une des amies de Jay leur lit un texte évoquant la torture qui pointe le fait que le pire n’est pas d’avoir des plaies mais la certitude qu’une mort prochaine est inéluctable. Telle est la situation de Jay qui se trouve confrontée à une menace latente. L’influence du cinéaste culte John Carpenter est indéniable dans It Follows et en particulier via le mythique Halloween (1978) qui reste un modèle du genre. La séquence où Jay regarde par la fenêtre de la salle de classe est un renvoi à la scène où Jamie Lee Curtis fait de même dans le film de Carpenter : la menace est à l’extérieur dans les deux cas et elle rôde sans cesse. La chose qui poursuit Jay est « lente mais pas idiote » comme la prévient Hugh, elle avance pas à pas mais surement, à l’instar de Michael Myers. La mise en scène joue de cette épée de Damoclès cachée dans les plans : la profondeur de champ devient un outil d’ironie dramatique d’où le danger surgit avec d’autant plus de force qu’il n’y a pas de précipitation, comme lors de la séquence de la plage. Magnifié par des lumières travaillées et soutenu par une musique électronique de Disasterpeace (Rich Vreeland, pas encore 30 ans et bien connu des amateurs de jeux-vidéos pour lesquels il a composé de nombreux morceaux) à l’efficacité redoutable (nappes sonores très marquées années 80), le film provoque une attraction fascinante. La réalisation alterne des mouvements de caméras signifiants (des travellings latéraux) conférant aux rues pavillonnaires un aspect anxiogène avec des instants poétiques où le romantisme trouve sa place dans la terreur.  


Filmé dans la banlieue de Detroit (comme son précédent film), It Follows établi un contraste entre les beaux quartiers résidentiels et les zones déshéritées livrées à l’abandon. A la recherche de Hugh, Jay et ses amis explorent ce paysage ravagé qui prend des allures symboliques : la vie a été happée hors de ces lieux comme le mal qui pourchasse Jay est en train de la vider de ses forces vitales. Épuisée, sa chambre est devenue un camp retranché, le petit groupe vit reclus, rappelant les jeunes de Destination finale (James Wong, 2000), voulant, eux aussi, échapper à la Mort. Les films des années 50 auxquels fait référence le réalisateur étaient marqués par leur aspect métaphorique : en pleine guerre froide, les cinéastes américains exprimaient à travers leurs œuvres la peur de l’énergie atomique comme la défiance envers des concitoyens vus comme de potentiels traitres. It Follows, que l’on peut situer dans les années 80 (un anachronique poudrier tactile faisant symboliquement le lien avec le monde d’aujourd’hui), procède de la même démarche : sous son apparence d’objet fantastique, il exprime la naissance d’un mal, le danger d’une transmission liée aux ébats sexuels. Car c’est ainsi que Hugh afflige Jay de la chose qui va la traquer. Tel un virus, la chose se répand dans cette décennie pas anodine et passe de l’un à l’autre, n’existant que pour contaminer à la chaîne. Avec des effets minimaux et une réalisation enivrante, David Robert Mitchel livre un film étonnant à la beauté vénéneuse où le péril à la tournure d’une étreinte.

Publié sur Le Plus du NouvelObs.com


07/02/15

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