Écrit et réalisé par David Robert Mitchel
... La virée du virus
C’est en 2010 que le Festival du
film américain de Deauville révèle le réalisateur David Robert Mitchell en lui
décernant son prix du Jury pour The Myth
of the American Sleepover. Mais, faute de sortie en salle, les spectateurs
devront attendre 2015 pour se laisser séduire et envouter par son deuxième long
métrage It Follows. David Robert
Mitchel bénéficie à nouveau d’un prix à Deauville l’année dernière (celui de la
critique internationale), le festival prouve qu’il ne s’est pas trompé en
misant sur un réalisateur que beaucoup vont découvrir et apprécier à cette
occasion. Car It Follows est un film
de genre protéiforme aux images soignées qui nous attire irrésistiblement dans
son atmosphère frissonnante. Habitué du monde adolescent à qui il avait déjà
consacré son premier film, le cinéaste aborde cette fois-ci sa thématique par
le biais de la peur et du surnaturel. Jay est une belle jeune fille qui flirte
avec Hugh, tout semble allait pour le mieux dans cette tranquille zone
résidentielle américaine, jusqu’au basculement soudain dans un cauchemar
éveillé. Hugh lui transmet, volontairement et pour se sauver lui-même, quelque
chose qui n’a pas de nom, quelque chose qui suit sa proie pour la tuer, quelque
chose qui peut prendre l’apparence de n’importe qui. Voilà Jay prise au piège
d’un phénomène inexplicable, son seul avantage : la chose traque en
marchant, ce qui lui laisse la possibilité de fuir, encore et encore, mais
jusqu’à quand ? David Robert Mitchel captive avec un film à l’adrénaline
addictive qui se double d’une métaphore sur la transmission d’un plaisir devenu
un fléau mortel.
Dans la file d’attente d’un
cinéma, Jay (Maika Monroe) propose à Hugh de jouer à un jeu basé sur l’observation :
troquer sa vie contre celle de quelqu’un d’autre. A savoir, l’un doit deviner
qui l’autre aimerait être parmi les gens alentour. Jay ne sait pas encore à
quel point cet amusement anodin est prémonitoire, elle qui va être contrainte
de scruter tous ceux qui l’entourent, devenus de potentielles menaces. En
effet, la chose qui a infecté Jay peut prendre l’apparence d’un inconnu comme
d’un ami. Ce qui place le film dans la lignée des classiques de la
science-fiction comme L'Invasion des
profanateurs de sépultures (Siegel, 1956). David Robert Mitchel revendique
d’ailleurs sa cinéphile à travers It
Follows en mettant à l’honneur deux extraits de films des années 50, le
genre était alors en plein essor, dont Les
tueurs de l’espace (W. Lee Wilder, 1954) qui met en scène des êtres aux
yeux globuleux venus d’ailleurs. Le film n’est pas sans évoquer aussi The Faculty (Rodriguez, 1999) et son
groupe d’adolescents confrontés à un organisme inconnu. Car Jay n’est pas seule
à affronter cette innommable menace : ses amis l’accompagnent dans cette
épreuve. Le réalisateur conserve à dessein un ton adolescent mais son
esthétique et sa formidable mise en scène le distingue durablement des
productions plus conventionnelles. Comme dans The Myth of the American Sleepover, ces jeunes personnages (les
adultes sont pour ainsi dire absents) ont les préoccupations de leur âge, sauf
que le badinage a laissé place aux rapports physiques et que ces derniers sont
devenus vecteurs d’un mal insidieux.
Une des amies de Jay leur lit un
texte évoquant la torture qui pointe le fait que le pire n’est pas d’avoir des
plaies mais la certitude qu’une mort prochaine est inéluctable. Telle est la
situation de Jay qui se trouve confrontée à une menace latente. L’influence du
cinéaste culte John Carpenter est indéniable dans It Follows et en particulier via le mythique Halloween (1978) qui
reste un modèle du genre. La séquence où Jay regarde par la fenêtre de la salle
de classe est un renvoi à la scène où Jamie Lee Curtis fait de même dans le
film de Carpenter : la menace est à l’extérieur dans les deux cas et elle
rôde sans cesse. La chose qui poursuit Jay est « lente mais pas idiote » comme la prévient Hugh, elle avance
pas à pas mais surement, à l’instar de Michael Myers. La mise en scène joue de
cette épée de Damoclès cachée dans les plans : la profondeur de champ
devient un outil d’ironie dramatique d’où le danger surgit avec d’autant plus
de force qu’il n’y a pas de précipitation, comme lors de la séquence de la
plage. Magnifié par des lumières travaillées et soutenu par une musique
électronique de Disasterpeace (Rich Vreeland, pas encore 30 ans et bien connu
des amateurs de jeux-vidéos pour lesquels il a composé de nombreux morceaux) à
l’efficacité redoutable (nappes sonores très marquées années 80), le film
provoque une attraction fascinante. La réalisation alterne des mouvements de
caméras signifiants (des travellings latéraux) conférant aux rues
pavillonnaires un aspect anxiogène avec des instants poétiques où le romantisme
trouve sa place dans la terreur.
Filmé dans la banlieue de Detroit
(comme son précédent film), It Follows
établi un contraste entre les beaux quartiers résidentiels et les zones
déshéritées livrées à l’abandon. A la recherche de Hugh, Jay et ses amis
explorent ce paysage ravagé qui prend des allures symboliques : la vie a
été happée hors de ces lieux comme le mal qui pourchasse Jay est en train de la
vider de ses forces vitales. Épuisée, sa chambre est devenue un camp retranché,
le petit groupe vit reclus, rappelant les jeunes de Destination finale (James Wong, 2000), voulant, eux aussi, échapper
à la Mort. Les films des années 50 auxquels fait référence le réalisateur
étaient marqués par leur aspect métaphorique : en pleine guerre froide,
les cinéastes américains exprimaient à travers leurs œuvres la peur de
l’énergie atomique comme la défiance envers des concitoyens vus comme de
potentiels traitres. It Follows, que
l’on peut situer dans les années 80 (un anachronique poudrier tactile faisant
symboliquement le lien avec le monde d’aujourd’hui), procède de la même
démarche : sous son apparence d’objet fantastique, il exprime la naissance
d’un mal, le danger d’une transmission liée aux ébats sexuels. Car c’est ainsi
que Hugh afflige Jay de la chose qui va la traquer. Tel un virus, la chose se
répand dans cette décennie pas anodine et passe de l’un à l’autre, n’existant
que pour contaminer à la chaîne. Avec des effets minimaux et une réalisation
enivrante, David Robert Mitchel livre un film étonnant à la beauté vénéneuse où
le péril à la tournure d’une étreinte.
Publié sur Le Plus du NouvelObs.com
07/02/15
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire