Écrit et réalisé par Mia Hansen-Løve
... Quand s'envisage le virage
Auréolée du prestigieux Ours d’argent
de la meilleure réalisatrice il y a quelques semaines à la Berlinale, Mia
Hansen-Løve a choisi un titre de film qui est comme une mise en exergue du
thème fétiche qu’on retrouve dans chacune de ses réalisations. L’avenir : le mot est vaste de
sens, rempli de promesses comme d’incertitudes et s’inscrit dans la démarche de
la cinéaste qui est de s’intéresser aux trajectoires évolutives de personnages
confrontés aux choix de la vie. Comme souvent dans ses films, le couple y
occupe une place centrale et vacillante : Victor et Annette dans Tout est pardonné (2007), Grégoire et
Sylvia dans Le père de mes enfants
(2009) ou encore Camille et Sullivan, les adolescents passionnés d’Un amour de jeunesse (2011). A ces duos
succèdent donc Nathalie et Heinz, professeurs de philosophie, milieu que
connait très bien la réalisatrice puisque ses deux parents l’étaient. Son film
précédent, Eden (2014), était par ailleurs
directement inspiré de la vie de son propre frère avec qui elle avait co-écrit
le scénario, une première car Mia Hansen-Løve a toujours été l’auteur de ses
histoires. L’avenir ne fait lui pas
exception à la règle : la réalisatrice y dresse le portrait d’une
enseignante qui, suite à différents événements, va être amenée à questionner sa
vie, elle qui pousse les autres à penser par eux-mêmes n’a-t-elle pas oublié de
penser à elle ? L’avenir est un
film centré sur la figure d’une femme d’âge mûr sans s’éloigner pour autant
d’une jeunesse qui est comme un contrepoids réactif. Les films de Mia
Hansen-Løve ont toujours su articuler le mouvement des générations, les faisant
se rencontrer et s’interroger. Nathalie se trouve malgré-elle dans un de ces
moments où on sent que sa place est remise en cause, où les choses se dérobent
sans qu’on ait pu les anticiper. Confrontée à une mère dépressive, lâchée par
un mari qui en aime une autre, virée de sa maison d’édition : les coups durs
s’accumulent. Heureusement, il y a Fabien, un ancien élève devenu militant
contestataire. Il va être la pierre angulaire d’une remise en cause pour cette
femme mise face à un avenir qu’elle n’avait pas envisagé…Ce film littéraire et
philosophique est une belle échappée physique et intellectuelle d’un personnage
qui envisage sa vie après n’avoir fait que la suivre.
Rousseau, Schopenhauer, Levinas,
Jankélévitch, Pascal : tous les philosophes de renom sont cités, à un
moment ou un autre, sous forme verbale ou visuelle, dans un film qui évite cependant
le piège de la pesanteur d’un tel référentiel. Induits par la profession de
Nathalie et de son mari, ces penseurs sont toujours amenés avec à-propos, voire
avec un humour bienvenu dont le film n’est pas dépourvu. « Il m’a manqué ! » s’exclame ainsi Heinz en parlant
de Schopenhauer (philosophe tendance pessimiste). Un titre de livre en
particulier se révèle éclairant quant à la crise que va traverser
Nathalie : « L’obsolescence de
l’homme » du philosophe allemand Günther Anders. Car l’enseignante est
précisément confrontée au jeunisme de sa maison d’édition qui trouve ses livres
poussiéreux : elle est considérée comme dépassée et plus en phase avec ce
qu’eux considèrent comme moderne. Le fait que son mari la quitte pour une femme
plus jeune (aperçue brièvement) participe de cette vision d’un âge ressenti comme
un fardeau qui mène au rebut : le placement en maison de retraite de sa
mère (jouée par Edith Scob, qu’on a toujours plaisir à revoir) est mal vécu par
Nathalie qui voit le lieu comme un mouroir. Est-ce donc cela son avenir ?
Car si la jeunesse manifeste devant son lycée contre la réforme des retraites,
elle, n’est pas contre travailler plus pour un métier qu’elle aime. Elle est
dans une zone de confort dont les seuls soubresauts sont ceux provoqués par son
excentrique mère, auxquels elle s’est habitués, et à qui elle finit toujours
par céder (que ce soit un coup de fil en pleine nuit ou pendant un cours). La
topographie du film est à l’image de cette douce routine tout en jouant
sur l’inversion qui s’enclenche : l’appartement marital se vide du mari
comme de ses livres, la maison en Bretagne ne sera plus que le souvenir d’un
temps révolu et à l’habituelle salle de classe se substitue le parc des
Buttes-Chaumont pour cause de lycée bloqué. Cette nature urbaine en appelle
d’ailleurs une autre : plus lointaine et plus bouleversante, dans le
Vercors, où Fabien, qui vit avec une communauté, convie Nathalie.
En effet, l’ancien élève (Roman
Kolinka) est un électron libre qui, contrairement à son ancien mentor, a quitté
l’éducation nationale pour affirmer ses idées et surtout s’engager dans des
causes qui lui permettent d’accorder ses idées et ses actes. Mia Hansen-Løve
fait de cette figure contestataire l’élément perturbateur et révélateur qui va
pousser Nathalie à redéfinir sa vie. Mais cette liberté nouvelle, mise en
valeur par les paysages ensoleillés et paisibles du Vercors, passe par les reproches : Nathalie refuse
de débattre de l’actualité avec ses élèves comme elle n’a pas envie de prendre
position sur un débat qui agite Fabien et sa communauté de penseurs sur la
notion d’auteur. Cette agitation intellectuelle n’est pas nécessairement ce
qu’elle recherche : « J’ai déjà
donné », mais cela à au moins le mérite de lui faire prendre le pouls
de son existence. Isabelle Huppert incarne avec brio, tant son jeu est fluide
et naturel, cette femme intelligente et sûre d’elle qui laisse poindre une
fragilité touchante. Ainsi, loin d’être anecdotique, sa relation, d’abord
difficile avec le chat de sa mère, prend valeur de métaphore pour une
Nathalie qui, comme le félin, se grise d’une liberté dont il faudra bien cependant
redéfinir les contours. Mia Hansen-Løve choisit d’ailleurs un lieu hautement
symbolique (le tombeau de Chateaubriand face à l’océan) pour lancer son film
optimiste et stimulant comme on lance un défi : une fin peut-être le début
d’un dialogue porteur d’avenir.
Publié sur Le Plus de L'Obs.com
06/04/16
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