mardi 12 avril 2016

► BATMAN V SUPERMAN : L'AUBE DE LA JUSTICE (2016)

Réalisé par Zack Snyder ; écrit par Chris Terrio et David S. Goyer


... Fracas fratricide


C’était devenu l’arlésienne des amateurs des deux héros de DC Comics: la rencontre sur grand écran de Batman et Superman. Souvent annoncé (on se souvient du clin d’œil fait dans Je suis une légende via une affiche fictive), toujours reporté, le projet s’est enfin concrétisé sous la houlette de Zack Snyder. Comme l’annonce le titre de façon programmatique, c’est sous la forme d’un affrontement que se fait cette apparition commune qui pose question : comment deux héros emblématiques œuvrant pour le bien en arrivent-ils à devenir ennemis ? C’est tout l’enjeu de Batman v Superman qui s’inscrit dans la continuité du cinéma de Zack Snyder, résolument tourné vers le spectaculaire. Il en a le goût et le don, poussant même sa démarche en faisant de l’outrance esthétique un parti pris de mise en scène (300 en étant un exemple flagrant) tout en sachant jouer avec la psychologie des personnages à l’instar de Watchmen où les états d’âmes côtoyaient les scènes d’actions. Son Man of steel, sa version des débuts de Superman, lui avait permis de préparer le terrain pour réunir ces deux figures historiques dans leur genre et qui ont eu un succès concomitant : l’homme d’acier apparait en 1938 (le film y fait d’ailleurs une discrète allusion) et l’homme chauve-souris un an plus tard. 2016 voit donc enfin la réunion au cinéma, chacun ayant eu son lot de films dédiés mais ils ne s’étaient croisés jusqu’à lors que sur papier (dans les comics de La ligue de justice puis dans le Dark Knight de Franck Miller où les deux amis entrent en dissension), dans la série animée La ligue des justiciers et dans le film d’animation The Dark Knight Returns (2012). Zack Snyder fait du contexte de son film précédent le terreau de Batman v Superman : l’histoire commence pendant la bataille finale contre le général Zod mais du point de vue de Bruce Wayne qui possède un immeuble de bureaux à Metropolis. Celui-ci assiste impuissant aux actes de bravoure d’un nouvel héros que le monde se découvre et qui aura pour nom Superman (Henry Cavill, qui reprend son rôle). Les deux films sont ainsi habilement imbriqués et cette suite tient ses promesses en faisant d’une adversité une fracassante et épique confrontation sous le regard intéressé d’un certain Lex Luthor…

« Tout a changé » : le bon vieux Alfred est toujours de la partie et il a conservé cette sagesse du recul que n’a pas toujours Batman. Il tente ainsi de lui faire comprendre que les temps où il était le seul justicier sont peut-être révolus mais l’obstiné Bruce Wayne ne voit en Superman qu’une menace qu’il se doit d’éradiquer. L’opposition entre les deux hommes capés réside déjà dans l’approche même de leurs actions : si Superman sauve, Batman châtie. C’est un chevalier sombre et violent qui va jusqu’à marquer au fer rouge les criminels qu’ils capturent ! La scène qui l’introduit joue précisément sur ce côté effrayant en montrant les prisonnières qu’il a libérées terrorisées par leur bienfaiteur : « C’est un démon ». A contrario, l’homme d’acier est déifié : le peuple le remercie et l’honore comme un personnage divin, la société lui a même édifié une statue à sa gloire. Mais la reconnaissance de l’humanité a aussi son revers : elle peut faire sombrer ce qu’elle a contribué à élever. Batman v Superman s’appuie un scénario solide qui donne de l’épaisseur à cette rencontre chaotique : des questions politiques et morales viennent interroger le statut et la place de ces personnages hors-normes avec des débats sur la légitimité d’agir et le rapport aux lois (comme ce fut le cas dans la saga X-men). Ce qui offre la séquence atypique d’un Superman appelé à la barre d’un tribunal ! Dans le Superman Returns de Bryan Singer, Loïs Lane n’avait-elle pas remporté le Pulitzer avec son article intitulé : pourquoi le monde n’a pas besoin de Superman ? Batman est lui résolu à choisir cette option définitive, reprochant à cette créature venue d’un autre monde d’avoir apporté avec lui la mort et la destruction (d’où la position de Bruce Wayne pendant l’attaque inaugurale : au sol, dans la poussière, avec les siens, tandis que Superman se bat, là-haut contre les siens). L’homme bleu et rouge condamne quant à lui les dénis de justice de l’homme chauve-souris et réprouve sa façon d’agir : deux mondes, deux visions que le film prend le temps d’aborder.

Le très attendu face à face entre ces deux caractères divergents se fait en deux temps à l’image de la mise en scène de Zack Snyder qui place toujours de l’ordinaire au sein de l’extraordinaire. C’est donc au milieu de la foule, lors d’un cocktail que, sous leurs identités civiles, Clark Kent serre la main de Bruce Wayne. Cette rencontre anti-spectaculaire se comprend en miroir de la seconde, en tenues de justiciers et explosive. Batman entre à cette occasion dans la galerie des figures masculines telles que les conçoit Zack Snyder : corps musculeux et monolithique (Ben Affleck a pris de la masse et ne démérite finalement pas dans le rôle) dont il avait posé les bases graphiques dans son fameux 300 (le masque brisé de Batman rappelle d’ailleurs le casque des spartiates). Car ces corps, imposants tous les deux, scandent pourtant leur différence : Batman est obligé de le sculpter (scène de l’effort musculaire) tandis que c’est inné chez Superman. Voilà où réside le but de l’un pour vaincre l’autre : rendre mortel et donc humain ce qui ne l’est pas, alors que celui qui n’est qu’un homme fait tout pour égaler la carapace naturellement indestructible de son ennemi. Le Batman de Zack Snyder est ainsi un homme-augmenté qui gagne en puissance grâce à une armure : son rêve qui ouvre le film n’est-il précisément pas celui d’une élévation ? Quant à l’abomination que Lex Luthor crée tel le docteur Frankenstein, elle participe de cette thématique de la modification de l’organisme. Cette irruption démesurée va d’ailleurs rebattre d’une façon surprenante les cartes d’un duel annoncé et plus incertain qu’on pourrait le croire. Le film, porté par l’efficace musique de l’incontournable Hans Zimmer (avec Junkie XL), est à la hauteur de l’altercation entre ses héros : volcanique et organique.

Publié sur Le Plus de L'Obs.com

23/03/2016     

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