Réalisé par Zack Snyder ; écrit par Chris Terrio et David S. Goyer
... Fracas fratricide
C’était devenu l’arlésienne des
amateurs des deux héros de DC Comics: la rencontre sur grand écran de Batman et
Superman. Souvent annoncé (on se souvient du clin d’œil fait dans Je suis une légende via une affiche
fictive), toujours reporté, le projet s’est enfin concrétisé sous la houlette
de Zack Snyder. Comme l’annonce le titre de façon programmatique, c’est sous la
forme d’un affrontement que se fait cette apparition commune qui pose question :
comment deux héros emblématiques œuvrant pour le bien en arrivent-ils à devenir
ennemis ? C’est tout l’enjeu de Batman
v Superman qui s’inscrit dans la continuité du cinéma de Zack Snyder,
résolument tourné vers le spectaculaire. Il en a le goût et le don, poussant
même sa démarche en faisant de l’outrance esthétique un parti pris de mise en
scène (300 en étant un exemple
flagrant) tout en sachant jouer avec la psychologie des personnages à l’instar
de Watchmen où les états d’âmes
côtoyaient les scènes d’actions. Son Man
of steel, sa version des débuts de Superman, lui avait permis de préparer
le terrain pour réunir ces deux figures historiques dans leur genre et qui
ont eu un succès concomitant : l’homme d’acier apparait en 1938 (le film y
fait d’ailleurs une discrète allusion) et l’homme chauve-souris un an plus
tard. 2016 voit donc enfin la réunion au cinéma, chacun ayant eu son lot de
films dédiés mais ils ne s’étaient croisés jusqu’à lors que sur
papier (dans les comics de La ligue
de justice puis dans le Dark Knight
de Franck Miller où les deux amis entrent en dissension), dans la série animée La ligue des justiciers et dans le film
d’animation The Dark Knight Returns
(2012). Zack Snyder fait du contexte de son film précédent le terreau de Batman v Superman : l’histoire
commence pendant la bataille finale contre le général Zod mais du point de vue
de Bruce Wayne qui possède un immeuble de bureaux à Metropolis. Celui-ci
assiste impuissant aux actes de bravoure d’un nouvel héros que le monde se
découvre et qui aura pour nom Superman (Henry Cavill, qui reprend son rôle).
Les deux films sont ainsi habilement imbriqués et cette suite tient ses
promesses en faisant d’une adversité une fracassante et épique confrontation
sous le regard intéressé d’un certain Lex Luthor…
« Tout a changé » : le bon vieux Alfred est toujours de la
partie et il a conservé cette sagesse du recul que n’a pas toujours Batman. Il
tente ainsi de lui faire comprendre que les temps où il était le seul justicier
sont peut-être révolus mais l’obstiné Bruce Wayne ne voit en Superman qu’une
menace qu’il se doit d’éradiquer. L’opposition entre les deux hommes capés
réside déjà dans l’approche même de leurs actions : si Superman sauve,
Batman châtie. C’est un chevalier sombre et violent qui va jusqu’à marquer au
fer rouge les criminels qu’ils capturent ! La scène qui l’introduit joue
précisément sur ce côté effrayant en montrant les prisonnières qu’il a libérées
terrorisées par leur bienfaiteur : « C’est un démon ». A contrario, l’homme d’acier est
déifié : le peuple le remercie et l’honore comme un personnage divin, la
société lui a même édifié une statue à sa gloire. Mais la reconnaissance de
l’humanité a aussi son revers : elle peut faire sombrer ce qu’elle a
contribué à élever. Batman v Superman s’appuie
un scénario solide qui donne de l’épaisseur à cette rencontre chaotique :
des questions politiques et morales viennent interroger le statut et la place
de ces personnages hors-normes avec des débats sur la légitimité d’agir et le
rapport aux lois (comme ce fut le cas dans la saga X-men). Ce qui offre la séquence atypique d’un Superman appelé à la
barre d’un tribunal ! Dans le Superman
Returns de Bryan Singer, Loïs Lane n’avait-elle pas remporté le Pulitzer
avec son article intitulé : pourquoi
le monde n’a pas besoin de Superman ? Batman est lui résolu à choisir
cette option définitive, reprochant à cette créature venue d’un autre monde
d’avoir apporté avec lui la mort et la destruction (d’où la position de Bruce
Wayne pendant l’attaque inaugurale : au sol, dans la poussière, avec les
siens, tandis que Superman se bat, là-haut contre les siens). L’homme bleu et
rouge condamne quant à lui les dénis de justice de l’homme chauve-souris et
réprouve sa façon d’agir : deux mondes, deux visions que le film prend le
temps d’aborder.
Le très attendu face à face entre
ces deux caractères divergents se fait en deux temps à l’image de la mise en
scène de Zack Snyder qui place toujours de l’ordinaire au sein de
l’extraordinaire. C’est donc au milieu de la foule, lors d’un cocktail que,
sous leurs identités civiles, Clark Kent serre la main de Bruce Wayne. Cette
rencontre anti-spectaculaire se comprend en miroir de la seconde, en tenues de
justiciers et explosive. Batman entre à cette occasion dans la galerie des figures
masculines telles que les conçoit Zack Snyder : corps musculeux et
monolithique (Ben Affleck a pris de la masse et ne démérite finalement pas dans
le rôle) dont il avait posé les bases graphiques dans son fameux 300 (le masque brisé de Batman rappelle
d’ailleurs le casque des spartiates). Car ces corps, imposants tous les deux,
scandent pourtant leur différence : Batman est obligé de le sculpter
(scène de l’effort musculaire) tandis que c’est inné chez Superman. Voilà où réside
le but de l’un pour vaincre l’autre : rendre mortel et donc humain ce qui
ne l’est pas, alors que celui qui n’est qu’un homme fait tout pour égaler la
carapace naturellement indestructible de son ennemi. Le Batman de Zack Snyder
est ainsi un homme-augmenté qui gagne en puissance grâce à une armure :
son rêve qui ouvre le film n’est-il précisément pas celui d’une
élévation ? Quant à l’abomination que Lex Luthor crée tel le docteur
Frankenstein, elle participe de cette thématique de la modification de
l’organisme. Cette irruption démesurée va d’ailleurs rebattre d’une façon surprenante
les cartes d’un duel annoncé et plus incertain qu’on pourrait le croire. Le
film, porté par l’efficace musique de l’incontournable Hans Zimmer (avec Junkie
XL), est à la hauteur de l’altercation entre ses héros : volcanique et
organique.
Publié sur Le Plus de L'Obs.com
23/03/2016
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