samedi 17 septembre 2016

► FRANTZ (2016)

Écrit et réalisé par François Ozon


... Les souvenirs choisis



Présenté ces jours-ci en compétition à la Mostra de Venise qui rendra son palmarès samedi, le dernier film de François Ozon se révèle singulier à plus d’un titre. Ce qui interpelle d’emblée est le choix artistique fort de tourner, et ce pour la première fois, en noir et blanc. Le réalisateur, qui a déjà situé certaines de ses histoires dans le passé (Potiche dans les années 70 ou 8 femmes dans les années 50) choisit une période qu’il n’a jamais explorée : celle de l’après-guerre, en l’occurrence 14-18. Soignant comme à l’accoutumée son casting avec des acteurs de choix, François Ozon (qui n’a étrangement toujours pas eu de César) fait confiance à l’incontournable Pierre Niney qui lui avait obtenu celui du Meilleur acteur en 2015. Comme dans Sous le sable ou Le Temps qui reste, le cinéaste confronte les personnages de Frantz à la mort, celle d’un être cher : un ami, un fiancé, un fils. Car Frantz était tout cela à la fois. Au lendemain d’une guerre qui a laissé son lot de victimes dans chaque camp, l’inconsolable famille allemande du jeune soldat tué au combat vit dans le souvenir. Anna, sa promise, est restée auprès de ses beaux-parents et les aide comme elle peut à surmonter l’épreuve jusqu’à ce que la visite d’un français, Adrien, ne vienne bouleverser leur morne existence. Ce dernier dit avoir bien connu le défunt à Paris avant que la guerre n’éclate, il relate les jours heureux de leur amitié et redonne le sourire au trio endeuillé. Mais sa présence dans ce qui était il y a encore peu un territoire ennemi crée des remous dans le village et Adrien semble de plus en plus mal à l’aise : a-t-il vraiment tout dit sur ses liens avec Frantz ? François Ozon aime travailler à partir d’un matériel existant, qu’il soit théâtral ou littéraire, qu’il va ensuite s’approprier (ce fut le cas par exemple avec Angel, d’après un roman d’Elisabeth Taylor ou encore Dans la maison, d’après une pièce de l’espagnol Juan Mayorga). Le cinéphile François Ozon s’inspire ici librement d’un film d’Ernst Lubitsch pour réaliser ce mélodrame raffiné aux accents formalistes et où les sentiments sont ceux des souvenirs choisis.

Le sobre et furtif générique d’ouverture prend à dessein l’aspect d’un faire-part de décès et le titre désigne la personne concernée : Frantz, un mort autour duquel tournera l’histoire à venir et qu’on ne connaîtra qu’au travers les yeux des autres. Le cinéaste fait de cette dualité entre le aujourd’hui et le hier un enjeu esthétique qu’il met en scène dans une première image surprenante où l’avant-plan est coloré alors que l’arrière-plan (le village allemand où se tient l’intrigue) reste dans le gris. Tout ne serait donc pas en noir et blanc ? Le film va en effet développer un choix formel qui se fera dans la nuance : le présent des événements apparaît figé dans la teinte du deuil tandis que l’évocation du passé de Frantz fait surgir la couleur. Xavier Dolan avait joué avec les formats de l’image dans le bouillonnant Mommy, Ozon s’essaye à la manipulation colorimétrique, lui qui a souvent précisément travaillé sur les couleurs de ses films (8 femmes en étant un exemple signifiant). La volonté de tourner en noir et blanc à l’époque contemporaine n’est pas nouvelle mais reflète nécessairement un parti pris assumé et les français ne sont pas en reste de ce côté-là : de Mathieu Kassovitz (La haine) à Michel Hazanavicius (The Artist) en passant par Luc Besson (Angel-A), tous ont expérimenté ce retour aux temps premiers du cinéma. Avec Frantz, Ozon pousse la démarche plus loin puisqu’il y incorpore des séquences en couleurs qui s’insèrent avec une harmonie certaine (la traversée de la grotte ou quand Adrien se met à jouer du violon) dans le temps présent, à côté des flashbacks colorisés plus classiques. Ce surgissement inattendu de la couleur provoque un rapport différent à l’image et l’identifie à des émotions spécifiques, comme la fameuse petite fille au manteau rouge de La liste de Schindler au milieu du noir et blanc ou encore la pigmentation progressive dans Pleasantville. Le souvenir de Frantz permet au vivant coloré de prendre le dessus sur le gris mortuaire.

« Ma seule blessure, c’est Frantz » assène un Adrien dont le corps présente les séquelles des impacts de la guerre. Cette métaphore entre heurts physiques et psychologiques est aussi celle de deux pays meurtris et le film n’oublie pas en filigrane les estropiés et les gueules cassés issus du carnage. Les protagonistes souffrent (Anna porte le deuil et va très souvent fleurir la tombe de son fiancée) et l’irruption d’Adrien est comme une bouffée d’oxygène : les parents et leur belle-fille retrouve, à travers le jeune homme, leur bienheureux passé familial. Adrien s’assoie à la table comme le faisait Frantz, joue du violon comme lui et fait preuve d’une sensibilité similaire. Cette idée de la figure de substitution était déjà au cœur d’Une nouvelle amie où Romain Duris essayait de surmonter le deuil de sa femme à sa façon, en étant à fois le même et un autre. Mais François Ozon ménage des chausse-trappes qui redistribuent les sentiments des uns et des autres et il relance même le film à mi-parcours dans un effet de symétrie qui lui confère une perspective différente. Car tout est finalement histoire de traces : celles qui ravivent un souvenir, celles qu’on dissimule, celles qu’on invente pour faire face à soi-même. Pierre Niney montre une nouvelle fois sa capacité à composer un personnage et à varier les registres tandis que la jeune actrice allemande qui lui donne la réplique, Paula Beer, se révèle impériale dans son rôle de femme tristement aimante, elle accroche la lumière, colorée ou grisée, et donne au film cette belle envolée mélancolique qui est celle du poème de Verlaine (Chanson d’automne) qu’aimait tant Frantz.

Publié sur Le Plus de L'Obs.com

07/09/2016

1 commentaire:

  1. C'est toujours un plaisir de lire tes critiques Romain.
    Ce film est effectivement d'une grande force émotionnelle au travers même de la retenue sublime des personnages et notamment de Paula Beer.

    Christophe (le photographe :) )

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