Écrit et réalisé par Xavier Dolan, d'après la pièce de Jean-Luc Lagarce
... L'avis des visages
Il se rapproche chaque année de
la récompense suprême ! Porté dès ses débuts par un festival de Cannes qui
lui offre une exposition prestigieuse, le cinéaste québécois Xavier Dolan n’en
finit plus d’accumuler les superlatifs. Alors qu’il n’a pas encore 30 ans, le
voilà donc détenteur du Grand prix pour Juste
la fin du monde qui fait suite au prix du jury (pour le percutant Mommy) qui a fait exploser sa popularité
et permis à un large public d’enfin le découvrir. Très ému lors de la cérémonie
cannoise, le réalisateur est apparu tels que sont ces films : à fleur de
peau. Son énergie passionnée est toute au service de ses films dont il tient à
être l’auteur au sens plein du terme : il écrit ses histoires et les met
en scène avec sa fougue créatrice. Son scénario de Juste la fin du monde est tiré de la pièce de théâtre éponyme de
Jean-Luc Lagarce écrite en 1990. On comprend vite ce qui a séduit le canadien
dans cette intrigue en huis clos où s’affronte les membres d’une famille
tendrement violente. Car le nœud familial a toujours intéressé le réalisateur
qui y trouve là le tragique comme le comique, cœur de tous les excès qui collent
aux corps et aux mots, cocon exutoire ou repoussoir. Juste la fin du monde, c’est le retour du fils prodigue :
Louis, 34 ans, rend visite aux siens après plus de dix ans d’absence. Devenu un
auteur de pièces à succès, il ne vient pas pour une visite de courtoisie mais
pour annoncer sa mort. Si sa mère et sa sœur, Suzanne, qu’il a à peine connue,
sont ravies de ce retour inespéré, Antoine, son frère aîné, ne cache pas son
hostilité. Quant à sa belle-sœur, Catherine, qui ne l’a jamais rencontré, elle
fait preuve d’une sensibilité qui la rapproche instinctivement d’un Louis qui
va vite être happé par le tourbillon que provoque son arrivée. Avant d’annoncer
quoi que ce soit, il va lui falloir écouter ce que les uns et les autres ont à
lui dire, ce qui pourrait bien bouleverser son approche de ce petit monde…
Xavier Dolan, en maître du défouloir, fait de l’intimité familiale le théâtre
d’une crise verbale et physique intense où les visages ont l’ampleur des
heurts.
La famille : thème universel
qui permet la multiplication et la concentration des situations dramatiques
trouve dans le cinéma l’une de ses représentations les plus fréquentes. De
Cédric Klapisch (Un air de famille) à
Jean-Paul Rappeneau (Belles familles)
en passant par Claude Lelouch (Salaud, on
t’aime), les réalisateurs ajoutent tour à tour leur pierre à cet édifice. Xavier
Dolan aussi a travaillé le sujet : que ce soit avec son film inaugural, J’ai tué ma mère, Tom à la ferme ou évidemment Mommy.
Minutieux dans ses choix de réalisation (on se souvient du format singulier de
son précédent film), le cinéaste québécois opte pour un angle formel qui
distingue d’emblée son film des autres : le gros plan. C’est dans cette
valeur de plan qu’il filme l’essentiel de son drame, mettant en exergue l’enjeu
fondamental du film, à savoir la proximité des êtres. A cet égard, Louis est un
pivot : il est à la fois celui qui a créé cette distance et qui provoque
le rapprochement, il demeure un mystère, séduisant ou énervant, pour ses
proches. La très belle scène où lui et sa mère s’isolent s’organise autour de
cette dualité : le face à face en gros plan révèle une distance que la
mise en scène avait dissimulée. « Même
dans le salon, il est loin » déclare d’ailleurs un Antoine en conflit
ouvert avec tout le monde et qui retarde l’affrontement avec son petit frère.
Car Louis est peu loquace (voir la scène entre lui et sa sœur dans la
chambre : elle parle et lui écoute), il est avant tout un visage qui
contemple et qui ressent. On ne verra presque rien du décor de la maison des
retrouvailles car l’essentiel est dans ce qui occupe toute la largeur de
l’image : ces visages qui se dévisagent sont les paysages des confidences.
Si tout commence par une voix
off, c’est que la repartie verbale est un des moteurs du film : la mère,
Suzanne et Antoine en font un usage en rapport avec leur caractère, haut en
couleur pour la mère, admiratif pour la benjamine, agressif pour le grand
frère. A ces flots verbaux s’opposent la douceur des paroles de Catherine,
toujours attentionnée, en retrait, elle est la seule à comprendre les silences
de celui qu’elle ne connaît pas. Le départ du cadet a laissé une plaie dans cette
famille où chaque moment de bonheur doit se conquérir (comme lorsque la mère
insiste pour raconter pour la énième fois « ses dimanches »). Il y a
un malaise latent qui s’instaure dès l’arrivée du fils et que la mise en scène
dévoile avec pertinence : la caméra, en isolant chaque membre, pointe
l’isolement dans le rassemblement. Chacun change de visage au grès des
évènements de cette journée décisive. La mère, derrière son maquillage
outrancier et son excentricité vestimentaire (Nathalie Baye, surprenante en
matriarche colorée) confronte Louis à ses responsabilités, Suzanne (Léa Seydoux,
en sœur fascinée) essaie d’être elle-même (démaquillage symbolique) et Antoine
(Vincent Cassel, survolté) montre son paradoxe : ses invectives ne
cachent-elles pas une rancœur qu’il ne sait pas exprimer ? Catherine perçoit
l’angoisse qui rôde et la timidité des débuts laisse place à la crispation
(Marion Cottilard, toute en retenue, compose un personnage qui lui va à ravir).
Quant à Louis (porté par un Gaspard Ulliel qui réussit à faire de son visage le
témoin muet de ses émotions), il est comme les « phrases
elliptiques » de ses cartes postales, avare en mots, il suscite ceux des
autres : le pénitent n’est-il pas devenu confesseur ?
Publié sur L'Obs.com
21/09/16
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