mercredi 14 décembre 2016

► PERSONNAL SHOPPER (Prix de la mise en scène Cannes 2016)

Écrit et réalisé par Olivier Assayas



… Au contact de soi

Cette fois ce fut la bonne ! Olivier Assayas faisait en effet partie de ces réalisateurs reconnus, souvent nommés mais jamais récompensés à Cannes. Le festival lui a ainsi décerné cette année le prix de la mise en scène (ex-aequo avec Baccalauréat du roumain Cristian Mungiu) pour son film Personnal Shopper. Le rendez-vous cannois s’était pourtant intéressé au réalisateur dès 1994 et les années suivantes avaient vus ses films régulièrement sélectionnés jusqu’en 2004 et l’excellent Clean, qui valut d’ailleurs un prix d’interprétation à son actrice Maggie Cheung. Ce n’est qu’en 2014 qu’Olivier Assayas avait retrouvé le chemin de la compétition avec l’envoutant Sils Maria mais était reparti une nouvelle fois bredouille. Le syndrome Almodóvar (jamais récompensé à Cannes malgré cinq nominations) a donc pris fin pour le français avec un film où il retravaille ses thèmes à travers le prisme du fantastique. Personnal shopper est assez audacieux car il s’aventure sur plusieurs genres en créant une étrangeté dont le cinéma français n’est pas coutumier : on passe ainsi du fantastique au thriller en passant par le drame personnel. Maureen est celle que le titre du film désigne par sa fonction, ce qui n’est pas anodin, à savoir une acheteuse de mode : elle court les boutiques de luxe pour garnir la garde-robe de Kyra, un mannequin en vue. Ce travail ingrat pour une personne qu’elle n’aime pas ne lui apporte aucune satisfaction mais elle reste à Paris car Maureen est dans l’attente. Son frère jumeau est décédé et avait la particularité, comme elle, d’être medium. Tous les deux s’étaient fait une promesse : celui qui partirait en premier devrait faire un signe à l’autre pour lui donner la preuve de l’existence de l’au-delà. Maureen jongle donc entre son métier prenant et ses errances dans la maison de feu son frère, guettant la moindre manifestation. Mais le signe qu’elle espère n’est peut-être pas celui qui l’attend… Film hybride qui cultive une atmosphère faite de ruptures, Personnal Shopper peut dérouter autant que fasciner dans un tout qui est assumé par un réalisateur qui trouve en Kristen Stewart une nouvelle muse.  


Le théoricien Tzvetan Todorov a donné une définition canonique du fantastique (« C’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles face à un événement en apparence surnaturel ») qui correspond bien à l’état fluctuant de Maureen. Si son frère semblait avoir un don développé, tel n’est pas son cas à elle. Ressentir une présence est une chose mais la jeune femme souhaite une apparition d’ampleur et au vue d’un robinet qui s’est ouvert tout seul, elle réclame : « Il m’en faut plus ! ». Car elle hésite : est-ce vraiment un signe et est-il seulement de Lewis, son frère disparu ? Maureen dépasse ainsi le stade premier de l’interrogation réel/surnaturel pour questionner directement ce qui se manifeste. Olivier Assayas fait de son acheteuse de mode un personnage qui doute et il diffuse cette inquiétude dans un quotidien qui tranche avec le décor qu’il avait installé au début du film. La maison évidée (motif qui revient dans son cinéma : on se rappelle celle, abandonnée, dans L’eau froide, ou encore celle de L’heure d’été, repaire familial ayant perdu son âme) ouvre le film dans ce qui est une scène de genre (la grille, le cadenas, les portes qui grincent, les bruits suspects…). Une mise en scène inquiétante brutalement interrompue par les moments qui replacent Maureen dans ses activités journalières : on est passé de la maison hantée à la boutique Cartier (!) dans un enchaînement volontaire qui perturbe le spectateur et l’installe lui-même dans ce surprenant entre-deux qu’expérimente Maureen. Le réalisateur imbrique des univers a priori antinomiques pour mieux en créer un aux contours mouvants. Le dernier film de Benoit Jacquot (À jamais, sorti récemment) ne procédait pas autrement : dans une maison isolée (là aussi), une jeune veuve pensait voir son défunt mari réapparaitre et s’évertuait à donner de la soupe à cet être inerte, aussi naturellement que possible. Dans les deux cas, ces femmes fragilisées ont un objectif : établir le contact avec la personne disparue.


C’est ce qui les retient toutes les deux à un endroit : Maureen endure sa vie actuelle car elle patiente, certaine que son frère va intervenir depuis un ailleurs indicible. Et ce contact post-mortem attendu en suscite bien d’autres : femme de son temps, Maureen (séduisante Kristen Stewart, qui a ce quelque chose d’hypnotique que sait capturer Olivier Assayas) est connectée au monde des vivants via YouTube, Skype et surtout son téléphone portable qui donne lieu à ce qui est peut-être la plus longue scène filmée d’échange de textos au cinéma ! Mais la mise en scène d’Olivier Assayas lui donne un rythme et une teneur anxiogène captivante, qu’il renouvellera avec une intensité certaine lors d’une séquence où la consultation à retardement des messages numériques est une vraie bonne idée de suspense à la Scream. Car l'acheteuse de mode s’est lancée dans un jeu ambigu avec un mystérieux correspondant qui la pousse à s’affranchir de certains interdits. Mais qu’en est-il alors du monde des esprits ? Il est, précisément, pas si déconnecté que cela des épreuves qu’affrontent la jeune femme car, en cherchant des réponses sur un au-delà, c’est bien sur son présent tangible que Maureen s’interroge. Bien que son jumeau ne soit plus, l’idée du double (que le cinéaste avait initié dans Sils Maria avec déjà Kristen Stewart) semble la poursuivre sous une autre forme : ne se substitue-t-elle pas de plus en plus à Kyra (essayages, doublure photo, intrusion dans son lit)? Oliver Assayas multiplie les canaux de contacts et les entrecroisent (il convoque pêle-mêle le spiritiste Victor Hugo et l’artiste Hilma af Klint qui peignait en transe) pour converger vers une Maureen qui agit pour les autres (de par son travail, sa promesse à Lewis, en obéissant à l’inconnu des textos) en s’oubliant elle-même. Et si l’apparition dont il fallait se soucier, c’était la sienne ?


14/12/2016

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