Réalisé par Denis Villeneuve ; Écrit par Eric Heisserer, d'après l’œuvre de Ted Chiang
... S'unir et vivre
On va beaucoup entendre parler du
cinéaste canadien Denis Villeneuve en 2017 puisqu’il a la lourde tâche de réaliser la suite du
cultissime Blade Runner de Ridley
Scott. En attendant, et comme un avant-goût, il inaugure son entrée dans la
science-fiction avec Premier contact,
qui semble de prime abord trancher avec sa filmographie. On l’avait en effet laissé l’année dernière
avec le très efficace et sombre Sicario,
sur les cartels de la drogue mexicains, et on se souvient encore du choc que
fut Incendies, une quête des origines
sur fond de guerre au Moyen-Orient, un film bouleversant. Alors pourquoi cette
soudaine incursion dans le fantastique ? Premier contact amène l’humanité à s’interroger quand
d’étranges et gigantesques coques spatiales se positionnent à différents
endroits du globe. Mais à y regarder de plus près, le québécois, s’il avait
jusqu’ici privilégié les drames ancrés dans la réalité (comme Polytechnique, inspiré d’une tuerie de
masse dans une école), disséminait ici et là des éléments appartenant au
registre du fantastique. D’ailleurs, son premier film, Un 32 août sur terre, contient quelques allusions aux
extra-terrestres (amusant 18 ans avant Premier
contact) et Maelström avait bien
pour narrateur un…poisson ! Quant à Enemy,
c’était jusqu’à maintenant celui de sa filmographie qui était allé le plus loin
dans le genre avec sa thématique chère au fantastique, à savoir le double.
Denis Villeneuve n’était donc pas si étranger que cela au sujet, d’autant plus
que ce passage du côté des êtres venus d’ailleurs lui permet, fort
heureusement, de ne pas livrer un film de science-fiction lambda, mais
d’explorer une autre facette de ses thèmes fétiches comme la filiation et le
rapport à l’autre et à soi-même. Ainsi, le film fait intervenir le personnage
de Louise, une linguiste sollicitée par l’armée pour tenter d’entrer en
communication avec les mystérieux occupants des nefs stellaires. La mission s’avère
ardue car ils n’utilisent rien de connu pour s’exprimer et laissent les experts
dans l’expectative. Le temps presse car les dirigeants des diverses puissances
mondiales préfèrent attaquer les premiers plutôt que de riposter… Premier contact est un film qui garde
toujours la mesure et réussit à imposer sa différence à travers une approche
plus cérébrale que spatiale.
Denis Villeneuve adapte pour la
troisième fois un auteur, il choisit cette fois l’américain Ted Chiang et sa
nouvelle L’histoire de ta vie parue
en 1998, souvent récompensés, ses écrits n’avaient jusqu’à maintenant jamais
fait l’objet d’une adaptation cinématographique, c’est désormais chose faite. C’est
le scénariste Eric Heisserer qui est en charge de l’histoire : il n’est
pas inconnu des amateurs de films d’horreur puisqu’on lui doit l’écriture des remakes
de The Thing et de Freddy- Les griffes de la nuit ainsi que
du récent Dans le noir. Mais Premier contact a pour ressort un tout
autre suspense : il s’agit moins d’un affrontement que d’une
conversation : il n’est pas question pour Louise de fuir ou de se défendre
mais d’aller à la rencontre et de comprendre. On songe évidemment au personnage
de Jodie Foster dans Contact (1997),
cette spécialiste des écoutes de sons en provenance de l’espace et dont
l’ennemi s’avérait non pas être une autre espèce mais bien l’humain lui-même.
Elle bataillait avec sa hiérarchie comme Louise se confronte aux impératifs
militaires qui s’incarnent en la personne du colonel Weber (Forrest Whitaker),
néanmoins plutôt bienveillant. Le monde exerce sa pression sur l’équipe en
place via une multitude d’écrans qui donnent le pouls d’une planète aux
abois : émeutes, pillages, que le réalisateur dose avec parcimonie afin de
donner ce qu’il faut de consistance à cette toile de fond car l’essentiel du
film se passe dans la coque et au camp militaire à proximité. Il exploite
également habilement les écrans de tous les pays où les « vaisseaux »
sont en lévitation : tous les spécialistes sont ainsi en liaison et les
moniteurs sont, temporairement, un symbole de concorde. L’intérieur de la coque
extra-terrestre n’est-il pas d’ailleurs un immense écran ? Les heptapodes,
nom donné aux créatures (clin d’œil au modèle du genre qu’est La guerre des mondes, le célèbre roman
d’H. G. Wells et ses tripodes), évoluent derrière une paroi vitrée brumeuse et
lumineuse tandis que l’équipe scientifique se tient en miroir dans la pénombre
d’une salle qui n’est pas sans rappeler, précisément, la salle de cinéma. Le
tout suivi en direct par les militaires sur l’écran de contrôle.
Cette mise en abyme des images
converge vers celles qui sont essentielles : celles du langage des
heptapodes, littéralement projetées, sous forme de dessins circulaires. Car Premier contact est un film sur
l’apprentissage de la communication, avec toutes les ramifications que cela
déclenche, c’est ce qui unit les hommes et qui les divisent, tout un paradoxe
que tente de dépasser Louise (Amy Adams), aidée du scientifique Ian Donnelly
(Jeremy Renner). Aux mémorables cinq notes musicales de Rencontres du troisième type (1977) se substituent ici un langage
non linéaire aux variantes complexes. L’effet visuel est très esthétique et
confère aux échanges une certaine poésie, ce qui fait écho aux paroles de
Louise au début du film lorsqu’elle fait le rapprochement entre langue et art.
Denis Villeneuve traduit dans sa réalisation, en s’affranchissant des
horizontales et des verticales, la spécificité du lieu des échanges tout autant
que son aspect mystérieux et finalement épuré car l’essentiel est ce qui s’y
dit. Louise instaure un processus pédagogique pour essayer d’interagir (et de
poser la question ultime : quel est votre but sur Terre ?) mais elle
est perturbée par des visions dont elle ignore le sens… Premier contact fait partie de ces films de science-fiction entrainants
et intimistes qui ces dernières années ont eu un haut niveau d’exigence, à
l’instar de Gravity, Interstellar ou Midnight Special, et où des personnages, à travers une expérience
transcendante, se confrontent à leur destinée. Telle est Louise qui, en
essayant de comprendre ces êtres, sera amenée à se questionner elle-même et à
faire un choix existentiel.
07/12/2016
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