mercredi 14 décembre 2016

► PREMIER CONTACT (2016)

Réalisé par Denis Villeneuve ; Écrit par Eric Heisserer, d'après l’œuvre de Ted Chiang


... S'unir et vivre


On va beaucoup entendre parler du cinéaste canadien Denis Villeneuve en 2017 puisqu’il  a la lourde tâche de réaliser la suite du cultissime Blade Runner de Ridley Scott. En attendant, et comme un avant-goût, il inaugure son entrée dans la science-fiction avec Premier contact, qui semble de prime abord trancher avec sa filmographie.  On l’avait en effet laissé l’année dernière avec le très efficace et sombre Sicario, sur les cartels de la drogue mexicains, et on se souvient encore du choc que fut Incendies, une quête des origines sur fond de guerre au Moyen-Orient, un film bouleversant. Alors pourquoi cette soudaine incursion dans le fantastique ? Premier contact amène l’humanité à s’interroger quand d’étranges et gigantesques coques spatiales se positionnent à différents endroits du globe. Mais à y regarder de plus près, le québécois, s’il avait jusqu’ici privilégié les drames ancrés dans la réalité (comme Polytechnique, inspiré d’une tuerie de masse dans une école), disséminait ici et là des éléments appartenant au registre du fantastique. D’ailleurs, son premier film, Un 32 août sur terre, contient quelques allusions aux extra-terrestres (amusant 18 ans avant Premier contact) et Maelström avait bien pour narrateur un…poisson ! Quant à Enemy, c’était jusqu’à maintenant celui de sa filmographie qui était allé le plus loin dans le genre avec sa thématique chère au fantastique, à savoir le double. Denis Villeneuve n’était donc pas si étranger que cela au sujet, d’autant plus que ce passage du côté des êtres venus d’ailleurs lui permet, fort heureusement, de ne pas livrer un film de science-fiction lambda, mais d’explorer une autre facette de ses thèmes fétiches comme la filiation et le rapport à l’autre et à soi-même. Ainsi, le film fait intervenir le personnage de Louise, une linguiste sollicitée par l’armée pour tenter d’entrer en communication avec les mystérieux occupants des nefs stellaires. La mission s’avère ardue car ils n’utilisent rien de connu pour s’exprimer et laissent les experts dans l’expectative. Le temps presse car les dirigeants des diverses puissances mondiales préfèrent attaquer les premiers plutôt que de riposter… Premier contact est un film qui garde toujours la mesure et réussit à imposer sa différence à travers une approche plus cérébrale que spatiale.

Denis Villeneuve adapte pour la troisième fois un auteur, il choisit cette fois l’américain Ted Chiang et sa nouvelle L’histoire de ta vie parue en 1998, souvent récompensés, ses écrits n’avaient jusqu’à maintenant jamais fait l’objet d’une adaptation cinématographique, c’est désormais chose faite. C’est le scénariste Eric Heisserer qui est en charge de l’histoire : il n’est pas inconnu des amateurs de films d’horreur puisqu’on lui doit l’écriture des remakes de The Thing et de Freddy- Les griffes de la nuit ainsi que du récent Dans le noir. Mais Premier contact a pour ressort un tout autre suspense : il s’agit moins d’un affrontement que d’une conversation : il n’est pas question pour Louise de fuir ou de se défendre mais d’aller à la rencontre et de comprendre. On songe évidemment au personnage de Jodie Foster dans Contact (1997), cette spécialiste des écoutes de sons en provenance de l’espace et dont l’ennemi s’avérait non pas être une autre espèce mais bien l’humain lui-même. Elle bataillait avec sa hiérarchie comme Louise se confronte aux impératifs militaires qui s’incarnent en la personne du colonel Weber (Forrest Whitaker), néanmoins plutôt bienveillant. Le monde exerce sa pression sur l’équipe en place via une multitude d’écrans qui donnent le pouls d’une planète aux abois : émeutes, pillages, que le réalisateur dose avec parcimonie afin de donner ce qu’il faut de consistance à cette toile de fond car l’essentiel du film se passe dans la coque et au camp militaire à proximité. Il exploite également habilement les écrans de tous les pays où les « vaisseaux » sont en lévitation : tous les spécialistes sont ainsi en liaison et les moniteurs sont, temporairement, un symbole de concorde. L’intérieur de la coque extra-terrestre n’est-il pas d’ailleurs un immense écran ? Les heptapodes, nom donné aux créatures (clin d’œil au modèle du genre qu’est La guerre des mondes, le célèbre roman d’H. G. Wells et ses tripodes), évoluent derrière une paroi vitrée brumeuse et lumineuse tandis que l’équipe scientifique se tient en miroir dans la pénombre d’une salle qui n’est pas sans rappeler, précisément, la salle de cinéma. Le tout suivi en direct par les militaires sur l’écran de contrôle.

Cette mise en abyme des images converge vers celles qui sont essentielles : celles du langage des heptapodes, littéralement projetées, sous forme de dessins circulaires. Car Premier contact est un film sur l’apprentissage de la communication, avec toutes les ramifications que cela déclenche, c’est ce qui unit les hommes et qui les divisent, tout un paradoxe que tente de dépasser Louise (Amy Adams), aidée du scientifique Ian Donnelly (Jeremy Renner). Aux mémorables cinq notes musicales de Rencontres du troisième type (1977) se substituent ici un langage non linéaire aux variantes complexes. L’effet visuel est très esthétique et confère aux échanges une certaine poésie, ce qui fait écho aux paroles de Louise au début du film lorsqu’elle fait le rapprochement entre langue et art. Denis Villeneuve traduit dans sa réalisation, en s’affranchissant des horizontales et des verticales, la spécificité du lieu des échanges tout autant que son aspect mystérieux et finalement épuré car l’essentiel est ce qui s’y dit. Louise instaure un processus pédagogique pour essayer d’interagir (et de poser la question ultime : quel est votre but sur Terre ?) mais elle est perturbée par des visions dont elle ignore le sens… Premier contact fait partie de ces films de science-fiction entrainants et intimistes qui ces dernières années ont eu un haut niveau d’exigence, à l’instar de Gravity, Interstellar ou Midnight Special, et où des personnages, à travers une expérience transcendante, se confrontent à leur destinée. Telle est Louise qui, en essayant de comprendre ces êtres, sera amenée à se questionner elle-même et à faire un choix existentiel.

07/12/2016    

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