mercredi 25 janvier 2017

► LA LA LAND (Oscars 2017)

Écrit et réalisé par Damien Chazelle


... L'air de la réussite


Damien Chazelle a le rythme dans la caméra ! Son troisième film, qui emprunte la route des Oscars avec la certitude d’un sacre (il égale le record de 14 nominations !), s’articule à nouveau autour de son genre musical de prédilection : le jazz. Sa première réalisation,  Guy and Madeline on a Park Bench (2009) mettait en scène un trompettiste de jazz en quête d’amour tandis que le génial Whiplash (2014) était un choc sonore et psychologique entre un élève batteur et son tyrannique professeur. Les spectateurs avaient alors découvert un jeune réalisateur promis à un bel avenir, récoltant de nombreux prix et trois nominations aux Oscars, cette histoire accrocheuse et palpitante révéla un Damien Chazelle aussi habile que le batteur de son film, lui qui fit précisément parti d’un groupe de Jazz durant ses études. Avec La La Land, il s’inscrit dans l’histoire du cinéma hollywoodien en réalisant une comédie musicale comme l’Amérique n’en fait quasiment plus. Genre roi pendant quelques décennies, avant et après la Seconde Guerre mondiale, le public avait fini par se lasser et l’évolution de l’industrie cinématographique a condamné le genre à quelques sursauts, souvent couronnés de succès cela dit : Moulin Rouge ! (2 Oscars en 2002) ou encore Chicago (6 Oscars en 2003). La La Land reprend les thèmes fétiches du genre (rêve d’ascension, ambition, persévérance, amour) mais qui sont également ceux du réalisateur. Comment ne pas voir en Sebastian et Mia, les héros chantants, une autre version du personnage d’Andrew, le batteur martyre de Whiplash, qui a les plus grands en ligne de mire. Dans la grande tradition hollywoodienne, Mia est venue dans la ville des mythiques studios pour devenir actrice et enchaîne les castings tout en étant serveuse. Sebastian de son côté n’a qu’une idée en tête : ouvrir son propre club de jazz mais est contraint pour l’instant de jouer des morceaux aux antipodes de sa passion. Ces deux âmes en quête d’autre chose étaient faites pour se rencontrer et se soutenir mais la route vers le succès est une partition qui s’écrit au son des anicroches… La La Land revêt l’élégante parure de la comédie musicale tout en sachant s’en émanciper avec raffinement pour dévoiler une romance chantée, dansée et parlée à travers le prisme d’un couple à l’épreuve de la réussite.


La La Land, c’est avant tout un format : Damien Chazelle ressuscite le Cinémascope (2.55 : 1), retrouvant une largeur qui a été celle des grandes comédies musicales de la fin du second âge d’or du genre (Oklahoma ! 1955, Brigadoon, 1954, Carmen Jones, 1954). Le réalisateur s’amuse à ce propos à reprendre le logo d’époque au début du film. Cinéphile, il a d’ailleurs tourné son premier film en 16mm et en noir et blanc, faisant preuve d’un vrai choix artistique, quant à Wihplash, tourné en numérique, il était en Scope (2.35 : 1), comme une prémisse, et surtout La La Land, outre ce format inusité et prestigieux, a été réalisé en pellicule 35mm. Les orientations artistiques du cinéaste vont marquer de leurs particularités le film qui s’ouvre sur un plan-séquence que n’aurait pas renié Jacques Demy où un embouteillage s’anime soudainement en une fanfare chatoyante. Cette ouverture fluide et tonitruante est paradoxalement tout ce que ne sera précisément pas le film. En effet, Damien Chazelle ne fera pas intervenir de ballets de chanteurs et de danseurs, mais se concentrera sur son couple vedette, Mia et Sebastian, et ira même jusqu’à diminuer les séquences purement musicale avant un regain lors d’une apothéose appartenant au domaine du fantasme d’un destin alternatif. Ce qui dit beaucoup sur la volonté du réalisateur de mettre en tension le rêve et la réalité : l’enchantement et son contraire sont dans La La Land les pas d’une danse qui s’effectue à deux. Cette dualité s’exprime dans le choix scénaristique puisque les protagonistes sont présentés coincés dans le même embouteillage, dans une métaphore de leur propre vie, à savoir au point mort, avant que le film nous les fasse découvrir de deux points de vue différents. Avant la rencontre, en deux temps, où la musique joue l’entremetteuse (dans le bar et à la pool-party).


Damien Chazelle fait confiance une nouvelle fois à son copain de fac, et membre du même groupe que lui, le compositeur Justin Hurwitz, qui avait déjà signé la musique de Whiplash. Autour du thème principal, entrainant et entêtant, qui sera le fil rouge et qui revient dans différentes orchestrations, s’entendent plusieurs morceaux qui offrent aux acteurs de vrais moments d’émotions. Très investis, ils poussent la chansonnette et dansent avec grâce dans des tableaux souvent poétiques aux lumières tamisées (comme la séquence sur les hauteurs d’Hollywood) ou colorés (dans le club de jazz). Le cinéaste répète d’ailleurs l’effet de style consistant à isoler soudainement le personnage sous un halo lumineux, plongeant le reste de l’écran dans le noir, telle une scène de théâtre. Ce qui met d’autant plus en valeur Ryan Gosling, d’une grande classe, et sa partenaire Emma Stone, pétillante à souhait, tous les deux forment un couple attachant mue par un même désir : celui d’accomplir leurs rêves. L’usine hollywoodienne (avec ses castings méprisants dont Mia fait les frais) en prend pour son grade : « C’est pas la meilleure vue » dira ironiquement Sebastian en contemplant la ville des anges. Sacrifices et compromis font partie du prix pour espérer accéder aux étoiles et il fallait bien la fantaisie d’une comédie musicale pour que nos deux battants les côtoient de près, littéralement, lors d’une fameuse scène au planétarium. Le film fonctionne habilement autour du cycle des saisons, qui va de pair avec l’évolution des personnages et que le réalisateur signifie parfois avec un détail, tels ces pétales du printemps qui virevoltent discrètement. C’est aussi en cela que réside le charme de La La Land, dans son approche intimiste de ce grand barnum qu’est Hollywood avec ses espoirs et ses désillusions et où la réussite ne nous joue pas toujours l’air qu’on aurait voulu.


25/01/2017              

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