Réalisé par William Oldroyd ; écrit par Alice Birch d'après l’œuvre de Nikolaï Leskov
... La femme à la fenêtre
Au titre original explicitant une
thématique et une filiation, la traduction française a étrangement choisi l’évasif
et passe-partout The Young Lady, mais
c’est bien Lady Macbeth qu’a choisi
le réalisateur britannique William Oldroyd pour son film, d'après le roman Lady Macbeth du district de Mtsensk (1865)
de Nikolaï Leskov. Et cette désignation est lourde de sens car indissociable du
personnage shakespearien. Si le célèbre
auteur russe fait référence à la tragédie médiévale, il ne s’agit pas pour
autant de la même histoire et le personnage n’est pas celui de la pièce mais la
femme dont il va dépeindre l’existence va se révéler aussi cruel et vénéneuse
que son modèle. Le roman a déjà fait l’objet de plusieurs adaptations : un
opéra (celui de Dmitri Chostakovitch en 1934) et deux films (Lady Macbeth sibérienne (1961), d’Andrej
Wajda, disparu fin 2016) et Katia
Ismailova (1994), de Valeri Todorovski. Habituellement située en Russie
comme l’intrigue originelle, c’est dans la campagne anglaise à l’époque
victorienne que l’action du film de William Oldroyd est transposée, à l’instar
d’un autre roman emblématique : Les
Hauts de Hurlevent. Car c’est également une romance noire qui se répand
dans ce film de grande tenue, celle entre une jeune épouse délaissée et un palefrenier
rustre, subjugué par une femme qui découvre son pouvoir de persuasion et qu’elle
est capable du pire pour assouvir ses désirs. Vendue tel un lot avec un lopin
de terre, Katherine est contrainte d’épouser un homme qu’elle ne connait pas et
qui ne la désire pas. Ce dernier ne tarde d’ailleurs pas à profiter de la première
occasion pour quitter le domicile conjugal, appelé loin pour affaires. Seule, la
jeune mariée se morfond, forcée par son beau-père à attendre l’hypothétique
retour de son mari. Prise au piège d’une routine sclérosante, Katherine reçoit
un choc émotionnel lors de sa rencontre brutale avec un employé, Sebastian. L’homme
devient l’objet de toutes ses attentions : il est le poumon d’une vie
étouffante, l’adrénaline d’un corps léthargique. Désormais, brisant les
convenances, elle va découvrir qu’elle n’a pas de limites pour préserver cette
relation moins romantique que tragique. Premier long métrage remarqué de
William Oldroyd, The Young Lady est
une enjôleuse descente aux enfers qui glace autant qu’elle est efficace.
Le film s’ouvre sur une Katherine
sous son voile blanc de mariage, le mari est déjà hors champ et la perdition à
l’œuvre : alors qu’elle chante, la voilà soudain comme perdue, hésitante
alors que s’élève des voix masculines qui couvre la sienne. C’est bien là son
destin qu’impose le montage : devoir d’obéissance et de soumission. La
suite met en place ce carcan existentiel qui passe par les rituels d’un
quotidien aux airs de Sisyphe : le lever (la scène se répète à dessein)
avec l’entrée de la bonne et l’ouverture des volets, le coiffage (dans la
douleur) et l’habillage (le sévère corset) puis enfin l’attente (figée sur un
canapé dans sa robe bleue) puisqu’elle est astreinte à l’intérieur. La morosité
est de mise pour cette vie qui n’en n’est pas une, la réalisation file d’ailleurs
le motif classique de la femme à la fenêtre en filmant à plusieurs reprises Katherine
dans des poses picturales, le regard tourné vers cet extérieur qui lui est
prohibé, promesse d’un ailleurs, d’une échappée mais aussi d’une folie
insoupçonnée. Un plan très signifiant en montre toute l’attraction : en
plan large, au bord du cadre, l’épouse attristée ouvre une fenêtre mais tout l’espace
est celui de la pièce qui lui sert de prison, cet extérieur n’a pas le droit à
l’image comme elle n’a pas le droit d’y projeter son visage. L’élément
salvateur et destructeur se trouve donc dans ce périmètre interdit que la
morale de l’époque et les figures masculines (son mari, son beau-père, le
prêtre) lui déconseillent de fréquenter. Sebastian, l’homme de l’extérieur,
cristallise tout ce qu’elle sait illicite et même tout ce qu’elle ignore
encore. Leur rencontre mêle brutalité et bestialité dans un rapport de force
appelé à s’inverser, d’où la saveur particulière de la scène. Sebastian (Cosmo
Jarvis) et d’autres employés s’amusent à molester la pauvre bonne de Katherine
en la soumettant à la pesée tel un animal. L’autorité de la maîtresse de maison
fait cesser l’offense mais pas l’arrogance de Sebastian ni l’impétuosité de Katherine
qui lui lance un défi. La répulsion devient aussi vite de l’attraction dans une
relation où c’est la femme qui fera de l’homme son obligé dans un paradoxal
retour vers cet intérieur qu’elle voulait tant fuir.
Tel un animal ayant chassé sa
proie et rentrant la déguster dans son terrier, Katherine, qui profite de l’absence
des hommes de la maison, installe son amant dans un espace dans elle s’est
émancipée. Le film montre bien cette évolution de comportement à travers la
modification du rituel du lever : la robe de chambre est négligemment
jetée au sol, la chemise de nuit n’est plus portée et le lit est même parfois
vide. Ces détails sont les effets d’une passion qui brise la rigidité jusqu’ici
imposée mais en se libérant ainsi, Katherine se meut en une Lady Chatterley dégénérée qui choisit le
meurtre pour s’assurer la tranquillité d’une relation exclusive et surtout
charnelle. Entre deux paroles sentimentales, elle glisse l’air de rien : « Si tu ne m’aimais plus, je t’étranglerais».
Le ton est donné. Sa froideur, dans son implacable avancée macabrement
amoureuse, a le visage de Florence Pugh : l’actrice est impressionnante
dans sa façon de faire muter son personnage vers la folie au diapason d’une réalisation
hiératique qui sert le propos. Les atrocités sont contrebalancées par le
détachement d’une Katherine qui n’a rien à envier à son ancêtre shakespearien. Si
l’empathie est absente chez cette femme qui ira jusqu’à l’innommable, elle
surgit au contraire chez sa servante qui en devient muette de terreur et met en exergue,
par son silence, le comportement insensé de sa maîtresse. Après le récent Fleur de Tonnerre (Stéphanie Pillonca-Kervern,
2017), The Young Lady trouve sa place
au panthéon des figures féminines assassines, William Oldroyd fait de son
personnage une femme qui, en refusant l’ordre établi, sombre dans le machiavélisme
et, en voulant sortir d’un huis clos, s’y enferme encore plus, descendant son
escalier comme on descend aux abysses.
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