lundi 17 avril 2017

► THE YOUNG LADY (2017)

Réalisé par William Oldroyd ; écrit par Alice Birch d'après l’œuvre de Nikolaï Leskov



... La femme à la fenêtre


Au titre original explicitant une thématique et une filiation, la traduction française a étrangement choisi l’évasif et passe-partout The Young Lady, mais c’est bien Lady Macbeth qu’a choisi le réalisateur britannique William Oldroyd pour son film, d'après le roman Lady Macbeth du district de Mtsensk (1865) de Nikolaï Leskov. Et cette désignation est lourde de sens car indissociable du personnage shakespearien.  Si le célèbre auteur russe fait référence à la tragédie médiévale, il ne s’agit pas pour autant de la même histoire et le personnage n’est pas celui de la pièce mais la femme dont il va dépeindre l’existence va se révéler aussi cruel et vénéneuse que son modèle. Le roman a déjà fait l’objet de plusieurs adaptations : un opéra (celui de Dmitri Chostakovitch en 1934) et deux films (Lady Macbeth sibérienne (1961), d’Andrej Wajda, disparu fin 2016) et Katia Ismailova (1994), de Valeri Todorovski. Habituellement située en Russie comme l’intrigue originelle, c’est dans la campagne anglaise à l’époque victorienne que l’action du film de William Oldroyd est transposée, à l’instar d’un autre roman emblématique : Les Hauts de Hurlevent. Car c’est également une romance noire qui se répand dans ce film de grande tenue, celle entre une jeune épouse délaissée et un palefrenier rustre, subjugué par une femme qui découvre son pouvoir de persuasion et qu’elle est capable du pire pour assouvir ses désirs. Vendue tel un lot avec un lopin de terre, Katherine est contrainte d’épouser un homme qu’elle ne connait pas et qui ne la désire pas. Ce dernier ne tarde d’ailleurs pas à profiter de la première occasion pour quitter le domicile conjugal, appelé loin pour affaires. Seule, la jeune mariée se morfond, forcée par son beau-père à attendre l’hypothétique retour de son mari. Prise au piège d’une routine sclérosante, Katherine reçoit un choc émotionnel lors de sa rencontre brutale avec un employé, Sebastian. L’homme devient l’objet de toutes ses attentions : il est le poumon d’une vie étouffante, l’adrénaline d’un corps léthargique. Désormais, brisant les convenances, elle va découvrir qu’elle n’a pas de limites pour préserver cette relation moins romantique que tragique. Premier long métrage remarqué de William Oldroyd, The Young Lady est une enjôleuse descente aux enfers qui glace autant qu’elle est efficace.

Le film s’ouvre sur une Katherine sous son voile blanc de mariage, le mari est déjà hors champ et la perdition à l’œuvre : alors qu’elle chante, la voilà soudain comme perdue, hésitante alors que s’élève des voix masculines qui couvre la sienne. C’est bien là son destin qu’impose le montage : devoir d’obéissance et de soumission. La suite met en place ce carcan existentiel qui passe par les rituels d’un quotidien aux airs de Sisyphe : le lever (la scène se répète à dessein) avec l’entrée de la bonne et l’ouverture des volets, le coiffage (dans la douleur) et l’habillage (le sévère corset) puis enfin l’attente (figée sur un canapé dans sa robe bleue) puisqu’elle est astreinte à l’intérieur. La morosité est de mise pour cette vie qui n’en n’est pas une, la réalisation file d’ailleurs le motif classique de la femme à la fenêtre en filmant à plusieurs reprises Katherine dans des poses picturales, le regard tourné vers cet extérieur qui lui est prohibé, promesse d’un ailleurs, d’une échappée mais aussi d’une folie insoupçonnée. Un plan très signifiant en montre toute l’attraction : en plan large, au bord du cadre, l’épouse attristée ouvre une fenêtre mais tout l’espace est celui de la pièce qui lui sert de prison, cet extérieur n’a pas le droit à l’image comme elle n’a pas le droit d’y projeter son visage. L’élément salvateur et destructeur se trouve donc dans ce périmètre interdit que la morale de l’époque et les figures masculines (son mari, son beau-père, le prêtre) lui déconseillent de fréquenter. Sebastian, l’homme de l’extérieur, cristallise tout ce qu’elle sait illicite et même tout ce qu’elle ignore encore. Leur rencontre mêle brutalité et bestialité dans un rapport de force appelé à s’inverser, d’où la saveur particulière de la scène. Sebastian (Cosmo Jarvis) et d’autres employés s’amusent à molester la pauvre bonne de Katherine en la soumettant à la pesée tel un animal. L’autorité de la maîtresse de maison fait cesser l’offense mais pas l’arrogance de Sebastian ni l’impétuosité de Katherine qui lui lance un défi. La répulsion devient aussi vite de l’attraction dans une relation où c’est la femme qui fera de l’homme son obligé dans un paradoxal retour vers cet intérieur qu’elle voulait tant fuir.

Tel un animal ayant chassé sa proie et rentrant la déguster dans son terrier, Katherine, qui profite de l’absence des hommes de la maison, installe son amant dans un espace dans elle s’est émancipée. Le film montre bien cette évolution de comportement à travers la modification du rituel du lever : la robe de chambre est négligemment jetée au sol, la chemise de nuit n’est plus portée et le lit est même parfois vide. Ces détails sont les effets d’une passion qui brise la rigidité jusqu’ici imposée mais en se libérant ainsi, Katherine se meut en une Lady Chatterley dégénérée qui choisit le meurtre pour s’assurer la tranquillité d’une relation exclusive et surtout charnelle. Entre deux paroles sentimentales, elle glisse l’air de rien : « Si tu ne m’aimais plus, je t’étranglerais». Le ton est donné. Sa froideur, dans son implacable avancée macabrement amoureuse, a le visage de Florence Pugh : l’actrice est impressionnante dans sa façon de faire muter son personnage vers la folie au diapason d’une réalisation hiératique qui sert le propos. Les atrocités sont contrebalancées par le détachement d’une Katherine qui n’a rien à envier à son ancêtre shakespearien. Si l’empathie est absente chez cette femme qui ira jusqu’à l’innommable, elle surgit au contraire chez sa servante qui en  devient muette de terreur et met en exergue, par son silence, le comportement insensé de sa maîtresse. Après le récent Fleur de Tonnerre (Stéphanie Pillonca-Kervern, 2017), The Young Lady trouve sa place au panthéon des figures féminines assassines, William Oldroyd fait de son personnage une femme qui, en refusant l’ordre établi, sombre dans le machiavélisme et, en voulant sortir d’un huis clos, s’y enferme encore plus, descendant son escalier comme on descend aux abysses.

 17/04/2017    

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