Écrit et réalisé par François Ozon, d'après l’œuvre de Joyce Carol Oates
... La peur au ventre
François Ozon est le mal aimé des
récompenses et les Césars puis le festival de Cannes de cette année l’ont
confirmé : l’élégant et original Frantz
(nommé 11 fois !) n’a reçu que le césar de la meilleure photographie
tandis que son nouveau film L’amant
double est reparti bredouille du festival cannois qui fêtait ses 70 ans. On
pensait pourtant que la malédiction du cinéaste avait culminé en 2003 et ce qui
fut une soirée cauchemardesque pour le réalisateur de 8 femmes (12 nominations et…rien) mais la suite ne fut pas plus
fructueuse. Seul le festival de San Sebastian a su le gratifier de prix à
plusieurs reprises dont deux Coquillages d’or pour Le refuge et Dans la maison,
mais point de récompenses françaises majeures. Ce n’est pourtant pas faute
d’avoir du talent et une audace certaine même si cela ne lui réussit pas
toujours (voir l’atypique Ricky). Le
prolifique réalisateur (pratiquement un long-métrage par an) revient donc avec
un film très différent du précédent et un genre qu’il n’a pas tant abordé que
cela, à savoir le thriller. Il y a bien eu à ses débuts Les amants criminels puis le fameux Swimming pool mais depuis les comédies dramatiques avaient été de
mise. Avec L’amant double, Ozon, sans
abandonner ses thèmes fétiches (amour, sexualité, introspection), les enveloppe
d’une angoissante noirceur qu’on lui connait peu. Adapté de l’ouvrage Lives of the twins (1987), de
l’américaine Joyce Carol Oates (que Laurent Cantet avait déjà adapté en 2013
avec Foxfire), l’histoire de L’amant double, comme le suggère son
titre, va s’articuler autour de la duplicité. Chloé est une jeune femme mal
dans sa peau, victime de maux de ventre depuis son enfance sans raisons
cliniques, elle finit par se sentir prête à consulter un psychiatre. C’est Paul
Meyer qui la reçoit en consultation : se sentant en confiance avec lui,
elle se livre sur sa vie et ses névroses. Plus les séances passent, plus elle
retrouve un équilibre jusqu’à ce que Paul décide de mettre un terme aux
séances : il ne peut rester son psychiatre car il lui avoue ses
sentiments, qui s’avèrent réciproques. Désormais en couple, Chloé fait un jour
une découverte qui va bouleverser cette nouvelle existence : Paul a un
jumeau caché, Louis, également psychiatre, mais là où l’homme qu’elle aime est
un professionnel conventionnel, l’autre a des méthodes bien différentes. Chloé
s’engage alors dans des séances moins psychologiques que physiques avec ce
trouble double… Même s’il se laisse parfois emporter par la tentation de
l’excès, Ozon livre néanmoins un film gémellaire anxiogène à l’ambiguïté
baroque.
Frantz avait fait la part belle au formalisme de la mise en scène
avec un travail sur une colorimétrie alternant le noir et blanc et la couleur, L’amant double et son thème se prête à
une réalisation qui fait du reflet et de la dualité des motifs récurrents qui
habillent les images. Les séances entre Chloé et Paul sont assez finement
traitées sur un mode elliptique où ce qui se passe dans le cadre en dit plus
que les quelques mots échangés. Les fondus enchaînés abolissent la distance
entre l’écoutant et la patiente, concrétisant un rapprochement qui n’a pas
encore eu lieu et instaurant dans cette relation intime une proximité rythmée
par la duplicité (usage du split-screen). La dernière séance est d’ailleurs
éloquente quant à la rupture qu’elle opère : la caméra change de point de
vue et de l’intérieur bascule à l’extérieur pour filmer ceux qui sont sur le
point de devenir un couple et donc de changer de statut (ce passage intérieur/
extérieur sera d’ailleurs le mouvement du film, qui, comme une psychanalyse, va
drainer le refoulé pour le mener à la surface). Cet inversement est doublé par
l’attitude de Paul qui, avare de mots, se laisse aller à parler tandis que
c’est Chloé qui pose les questions. Un retournement qui annonce celui de
l’histoire : c’est la patiente qui devient l’enquêtrice, cherchant à
percer le mystère de celui qui a mis son âme à nue. Les premières scènes
installent de grands motifs hitchcockiens (l’œil, le sexe, la spirale), tous
connectés à Chloé qui est comme happée par eux. Le gros plan sur l’œil n’est
d’ailleurs pas sans rappeler celui, mythique, de Catherine Deneuve qui ouvrait
magistralement le Répulsion de
Polanski, et où il était, précisément, question de dérèglement psychique et de
désir. Car Chloé elle-même n’est-elle pas en train, au contact du pervers
Louis, de devenir autre ? N’est-ce pas sur ses cheveux coupés que s’ouvre
le film : un changement externe, prélude à celui, interne, en gestation.
Chloé (Marine Vacth, qu’Ozon à
révéler dans Jeune & Jolie, tour
à tour provocante, fragile, en perdition) se meut en une silhouette androgyne
qui ajoute à sa curiosité, frêle jeune femme prise entre un feu rassurant et un
autre dévorant. Paul est aussi mesuré que Louis est bestial (il va de pair avec
son animal fétiche, un chat singulier). « Nous n’avons pas du tout les mêmes méthodes » assure-t-il à
une Chloé qui devient secrètement la patiente du frère jumeau de son amant
(Jérémie Renier, qui retrouve le réalisateur pour la troisième fois). Et en
effet : exploitant une fascination qu’elle arrive mal à dissimuler, il
fait d’elle une victime consentante d’un jeu pervers entre dominant et dominée,
attraction et répulsion. L’objet de la
découverte devient objet de fantasmes aussi dérangeants que malsains : la
scène d’amour où le duo se métamorphose en quatuor, sur une musique angoissante
qui sert particulièrement le propos, est un climax qui pointe l’agitation
psychologique dont souffre la jeune femme depuis sa rencontre avec Louis. La
duplicité de ses hommes semble la contaminer et son environnement ne fait
qu’entretenir l’étrange. Ozon exploite avantageusement le Palais de Tokyo et
ses installations d’art moderne (où Chloé travaille comme gardienne) pour
distiller une atmosphère qui est comme la projection de ce qui la ronge. De la
même façon, la question de la filiation ne se cantonne pas à celle des frères :
elle est entretenue par la présence d’une voisine de palier intrusive et
bizarre (Myriam Boyer), vivant dans le souvenir de sa fille internée.
S’inspirant d’un cinéma a priori éloigné du sien (De Palma « Sœurs de sang », Cronenberg « Faux- semblants »), le cinéaste surprend
encore et propose un film étonnant, une maïeutique crue à l’ambiance affolée
soignée.
05/06/2017
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