lundi 13 octobre 2014

► MOMMY (Prix du jury Cannes 2014)

Écrit et réalisé par Xavier Dolan





... L'espoir maternel


Son premier film l’avait amené à Cannes il y a cinq ans à peine avec, déjà, une histoire centrée sur les relations tumultueuses entre une mère et son fils (J’ai tué ma mère, 2009). Une nouvelle confrontation familiale l’y ramène, saluée par le Prix du jury (ex-aequo avec Adieu au langage de Godard). Xavier Dolan continue sur sa lancée, celle, impressionnante, d’un jeune réalisateur qui maîtrise également le scénario et le montage de ses œuvres. S’il choisit un terme unique et enfantin pour intituler son film, c’est pour que s’y superpose le désigné et le désignant : la mère et le fils, dans une même focalisation qui annonce  une relation fusionnelle. Cette appellation est en partie ironique puisqu’elle suggère une tendresse qui va au contraire n’avoir de cesse de rimer avec détresse. Car c’est là toute l’histoire ambivalente de Diane et Steve, celle d’une mère haute en couleur qui récupère son fils adolescent dont même le centre correctionnel ne veut plus, en particulier après qu’il a mis le feu au réfectoire, brûlant grièvement un autre pensionnaire. C’est que Steve a de sérieux troubles du comportement, hyperactif, il est incapable d’exprimer son amour pour sa mère d’une façon adéquate, il est toujours dans l’excès. Diane va tenter, en le reprenant à la maison, de le gérer au mieux avec son énergie et son franc-parler mais quand Steve entre en crise, elle se retrouve démunie face à sa rage dévastatrice. L’amour maternel et filial est pourtant aussi fort que le sont leur disputes épiques, mais une relation peut-elle perdurer quand chaque moment de bonheur est annihilé avec fracas ? Xavier Dolan a réalisé un film funambule, d’une intensité constante, à l’humeur contrastée et à la passion exacerbée.


Un film de Xavier Dolan est toujours singulier, ce qui frappe de prime abord ici, c’est le choix d’un format cinématographique inusité : le 1 : 1, soit un carré parfait (proche du format du cinéma muet, le 1.33, ce qui donna le 4/3 sur les écrans de télévision). Ce format est un choix formel audacieux tant il propose une rupture dans notre habitude visuelle des films contemporains, même si ces dernières années ce format (sous sa forme du 1.33) a fait son retour avec un parti pris esthétique marqué chez Andrea Arnold (Fish Tank, 2009), plus récemment chez Mathieu Amalric (La chambre bleue) et, déjà, dans Laurence Anyways (2012) du même Xavier Dolan. Les personnages vont ainsi envahir pleinement l’écran, emplir de leur présence l’amplitude réduite du cadre, les paysages, ce sont eux : l’humain est au centre de tout. Cet espace confiné est aussi celui de l’intime : la relation, belle et chaotique, de Diane et Steve s’épanouit et se détruit avec d’autant plus de force qu’elle évolue dans la tension de ce cocon familial scandée par les limites de l’image. Quand les protagonistes hurlent et étouffent, le spectateur est dans une empathie décuplée par le dispositif formel. L’initiative ne s’arrête pas là, comme il avait pu le faire dans Tom à la ferme (2013), Xavier Dolan va moduler le format en fonction du contenu narratif et émotionnel des scènes. Ainsi, à plusieurs reprises, comme lors de la ballade à vélo et en longboard, instant de liberté et de bonheur, l’écran, sous l’impulsion d’un geste de Steve, va s’élargir pour retrouver le format conventionnel du 1.85. La respiration interne devient celle de l’image, cette largeur nouvelle et ponctuelle va de pair avec les personnages qui déploient, momentanément, leur apaisement.


Car la relation entre la mère et le fils est comme une sinusoïde : l’horizon n’est jamais plat, mais toujours dans un mouvement dont on sait qu’à une montée succèdera une descente. « On ne s’ennuie jamais avec  Steve » déclare Diane (spectaculaire Anne Dorval, lumineuse et charismatique). Et elle sait de quoi elle parle : son entretien avec la responsable du centre correctionnel oscille entre comédie et mise en garde : « Vous aurez au moins enrichi son vocabulaire ! » s’exclame Diane en entendant les jurons que profère son fils. Le retour à la maison la remettra d’emblée face au comportement surexcité de Steve : provocation envers le voisin, musique à tue-tête. Il ne faut pas se fier à son visage angélique de blond aux yeux bleus, choix voulu qui ajoute au contraste (survolté Antoine-Olivier Pilon, qui jouait la victime dans le clip réalisé pour Indochine College Boy en 2013). S’il partage l’énergie et le débit de parole de sa mère, il a en revanche l’exclusivité de la violence. Une scène paroxystique y révèle toute la réalité d’un mal qui le ronge et qu’il ne contrôle pas. Alors qu’il vient d’offrir à Diane un pendentif, cette dernière le braque en suspectant un vol. Le déchainement qui s’en suit glace le sang : on est passé d’un instant convivial, d’un sourire, d’une joie d’offrir à une situation inverse brutale où fusent les insultes terribles et les coups. 


Cette relation cédera une partie de son exclusivité à Kyla (Suzanne Clément, d’une grande justesse), la voisine qui va se lier d’une amitié forte et émouvante avec Diane et Steve, non sans avoir dû d’abord affronter le tyran dans une scène surprenante où elle ira au bout d’elle-même. Car telle est la spécialité de Steve : pousser à leurs extrémités les rapports avec l’autre. Et c’est sa mère bien sûr qui est la première à se heurter à ce trop plein d’émotions dans une relation à la tension incestueuse (la scène de la danse sensuelle entre autre). La caractéristique de Diane est sa force : sa légèreté apparente (tenues voyantes, langage fleuri…) cache le drame de sa vie : aimer son fils malgré tout. La scène où elle retient ses larmes avec vigueur est poignante tant elle est à l’image d’une mère qui refuse de céder à l’abattement. « Les sceptiques seront confondus » assure-t-elle, clamant ainsi sa foi en un avenir meilleur. Xavier Dolan, dans un ultime ralenti, laisse au spectateur tuméfié le soin d’épouser l’espérance d’une mère ou de céder à l’amère.  

Publié sur Le Plus du NouvelObs.com


11/10/14                   

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