Réalisé par Christopher Nolan ; écrit par Christopher et Jonathan Nolan
... Aux confins de l'être
Après avoir achevé avec succès sa
trilogie consacrée au Chevalier Noir, le désormais très attendu Christopher
Nolan nous fait quitter les bas-fonds de Gotham pour nous proposer avec Interstellar un voyage spatial des plus
métaphysique. Inception (2010) lui
avait déjà permis de mettre en scène les tourbillons de la conscience à travers
l’attrait séduisant mais dangereux des possibilités du rêve. Sa nouvelle
réalisation l’amène à étendre son propos au sort de l’humanité qui,
précisément, a renoncé à l’éventualité d’un ailleurs. La Terre ne permet plus à
ses habitants de vivre correctement, l’agriculture a décliné au fil du temps et
seule la culture du maïs est encore envisageable. L’air est balayé de tempêtes
de poussière qui empoisonnent lentement des humains résignés. Ancien pilote et
ingénieur, Joseph Cooper (Matthew McConaughey) survit dans sa ferme avec son
père et ses deux enfants, sa fille Murphy et son fils Tom. De mystérieux
messages vont le conduire à découvrir avec sa fille une base secrète de la NASA
qui, à l’insu de tous, poursuit un programme spatial des plus ambitieux :
découvrir une autre planète hors du système solaire pouvant accueillir une
humanité à bout de souffle. Première incursion remarquable dans la
science-fiction spatiale pour Christopher Nolan qui trouve dans cette aventure
sensible et épique une nouvelle dimension pour sa thématique récurrente du
rapport à l’autre et à soi-même.
Largement couvert par la
littérature et le cinéma (à peine né, ce dernier emmenait déjà ses spectateurs
au-delà de la Terre avec le fameux Voyage
dans la lune de Méliès en 1902 alors que plus tard, le monumental 2001 de Kubrick (1968) ouvrait la voie
matricielle qu’emprunte aujourd’hui Christopher Nolan), le thème de la conquête
spatiale a ses figures et ses motifs. La singularité première d’Interstellar est précisément d’instaurer
un monde qui a renoncé à sa volonté conquérante et donc savante. En effet, les
politiques ont abandonné ces programmes trop couteux pour se concentrer sur le
développement d’une agriculture moribonde. Éloquente séquence de l’école où on
s’aperçoit que les manuels ont soit fait disparaître les exploits
astronautiques, soit les ont fait passer pour de la propagande ennemie. Ce que
déplore Cooper : « Par le
passé, nous levions les yeux pour nous interroger sur notre place dans les
étoiles ». La terre poussiéreuse est à présent le seul horizon.
C’est donc par un renoncement que
débute l’histoire pour mieux bifurquer
sur un commencement. Dans la lignée d’un Bruce Wayne, contraint au retour
héroïque dont a besoin le peuple dans The
Dark Knight Rises (2012), Christopher Nolan fait de Cooper son héros
stellaire de façon assumée : « Vous
avez besoin de moi pour sauver le monde alors » peut-on l’entendre
répliquer au professeur chargé de la mission (Michael Caine). Derrière cette
phrase volontairement grandiloquente figure en filigrane la mission de
Cooper : se mettre au service des autres et donc faire des choix profonds.
Dont celui de quitter son foyer. Pour que la philosophie du Magicien d’Oz (Fleming, 1939) : « Il n’y a pas de meilleur endroit que
chez soi » perdure, il y a nécessité à se trouver un nouveau
cocon. Car le réalisateur est resté fidèle à sa vision, celle où s’entremêle le
destin d’un individu avec celui des autres et en particulier des proches.
Ainsi, l’intime sera au cœur de ce voyage dans l’univers, l’astronaute Amelia
Brand (Anne Hathaway), qui l’accompagne, a le souvenir d’un homme aimé qu’elle
espère retrouver tandis que Cooper est affecté d’avoir dû laisser sa famille,
en particulier sa fille qu’il a quittée fâchée (jouée adulte par Jessica
Chastain). Comme dans Sunshine (Danny
Boyle, 2007) qui voyait un équipage chargé de réanimer un soleil mourant, ils
vont être amenés à prendre des décisions cruciales au risque de leur entente.
Se mettre en péril, c’est mettre l’humanité en danger.
L’exploration des mondes censés
pouvoir accueillir l’être humain leur rappellera douloureusement le poids des
résolutions. L’une d’elle illustrera de façon émouvante cette donnée sur
laquelle ces explorateurs n’ont pas prise : le Temps, dont la notion
devient relative au sein de l’espace. Le visionnage des messages transmis
depuis la Terre devient la projection concrète d’un éloignement temporel
irréversible. En un instant Cooper éprouve une myriade de sensations, celles d’une
vie, celle de son fils, témoin éloigné d’une humanité qu’il s’est promis de
sauver. De simples bribes de voix entendues à la radio offraient au personnage
de Sandra Bullock, perdue en orbite autour de la Terre dans Gravity (Alfonso Cuarón, 2013), cette présence émotivement
salvatrice de l’Autre. Chez Christopher Nolan, la force de continuer vient de
cette réalité réduite au souvenir, ne pas céder à l’abattement et enlacer le
vivant encore et encore, jusqu’au bout. Tel est le sens du célèbre poème Do not go gentle into that good night (1951)
du poète gallois Dylan Thomas, lu à deux reprises dans le film et qui exhorte
tout un chacun à « Hurler à l’agonie de la lumière ». Interstellar,
servi par une esthétique qui privilégie les échanges au spectaculaire, est une
ode galactique aux sentiments humains, même dans l’espace sidéral, ils sont ce
qui confère à l’existence son plus bel espoir.
Publié sur Le Plus du NouvelObs.com
Publié sur Le Plus du NouvelObs.com
08/11/14
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