mercredi 12 novembre 2014

► INTERSTELLAR (2014)

Réalisé par Christopher Nolan ; écrit par Christopher et Jonathan Nolan


... Aux confins de l'être

Après avoir achevé avec succès sa trilogie consacrée au Chevalier Noir, le désormais très attendu Christopher Nolan nous fait quitter les bas-fonds de Gotham pour nous proposer avec Interstellar un voyage spatial des plus métaphysique. Inception (2010) lui avait déjà permis de mettre en scène les tourbillons de la conscience à travers l’attrait séduisant mais dangereux des possibilités du rêve. Sa nouvelle réalisation l’amène à étendre son propos au sort de l’humanité qui, précisément, a renoncé à l’éventualité d’un ailleurs. La Terre ne permet plus à ses habitants de vivre correctement, l’agriculture a décliné au fil du temps et seule la culture du maïs est encore envisageable. L’air est balayé de tempêtes de poussière qui empoisonnent lentement des humains résignés. Ancien pilote et ingénieur, Joseph Cooper (Matthew McConaughey) survit dans sa ferme avec son père et ses deux enfants, sa fille Murphy et son fils Tom. De mystérieux messages vont le conduire à découvrir avec sa fille une base secrète de la NASA qui, à l’insu de tous, poursuit un programme spatial des plus ambitieux : découvrir une autre planète hors du système solaire pouvant accueillir une humanité à bout de souffle. Première incursion remarquable dans la science-fiction spatiale pour Christopher Nolan qui trouve dans cette aventure sensible et épique une nouvelle dimension pour sa thématique récurrente du rapport à l’autre et à soi-même.  


Largement couvert par la littérature et le cinéma (à peine né, ce dernier emmenait déjà ses spectateurs au-delà de la Terre avec le fameux Voyage dans la lune de Méliès en 1902 alors que plus tard, le monumental 2001 de Kubrick (1968) ouvrait la voie matricielle qu’emprunte aujourd’hui Christopher Nolan), le thème de la conquête spatiale a ses figures et ses motifs. La singularité première d’Interstellar est précisément d’instaurer un monde qui a renoncé à sa volonté conquérante et donc savante. En effet, les politiques ont abandonné ces programmes trop couteux pour se concentrer sur le développement d’une agriculture moribonde. Éloquente séquence de l’école où on s’aperçoit que les manuels ont soit fait disparaître les exploits astronautiques, soit les ont fait passer pour de la propagande ennemie. Ce que déplore Cooper : « Par le passé, nous levions les yeux pour nous interroger sur notre place dans les étoiles ». La terre poussiéreuse est à présent le seul horizon.  


C’est donc par un renoncement que débute  l’histoire pour mieux bifurquer sur un commencement. Dans la lignée d’un Bruce Wayne, contraint au retour héroïque dont a besoin le peuple dans The Dark Knight Rises (2012), Christopher Nolan fait de Cooper son héros stellaire de façon assumée : « Vous avez besoin de moi pour sauver le monde alors » peut-on l’entendre répliquer au professeur chargé de la mission (Michael Caine). Derrière cette phrase volontairement grandiloquente figure en filigrane la mission de Cooper : se mettre au service des autres et donc faire des choix profonds. Dont celui de quitter son foyer. Pour que la philosophie du Magicien d’Oz (Fleming, 1939) : « Il n’y a pas de meilleur endroit que chez soi » perdure, il y a nécessité à se trouver un nouveau cocon. Car le réalisateur est resté fidèle à sa vision, celle où s’entremêle le destin d’un individu avec celui des autres et en particulier des proches. Ainsi, l’intime sera au cœur de ce voyage dans l’univers, l’astronaute Amelia Brand (Anne Hathaway), qui l’accompagne, a le souvenir d’un homme aimé qu’elle espère retrouver tandis que Cooper est affecté d’avoir dû laisser sa famille, en particulier sa fille qu’il a quittée fâchée (jouée adulte par Jessica Chastain). Comme dans Sunshine (Danny Boyle, 2007) qui voyait un équipage chargé de réanimer un soleil mourant, ils vont être amenés à prendre des décisions cruciales au risque de leur entente. Se mettre en péril, c’est mettre l’humanité en danger.


L’exploration des mondes censés pouvoir accueillir l’être humain leur rappellera douloureusement le poids des résolutions. L’une d’elle illustrera de façon émouvante cette donnée sur laquelle ces explorateurs n’ont pas prise : le Temps, dont la notion devient relative au sein de l’espace. Le visionnage des messages transmis depuis la Terre devient la projection concrète d’un éloignement temporel irréversible. En un instant Cooper éprouve une myriade de sensations, celles d’une vie, celle de son fils, témoin éloigné d’une humanité qu’il s’est promis de sauver. De simples bribes de voix entendues à la radio offraient au personnage de Sandra Bullock, perdue en orbite autour de la Terre dans Gravity (Alfonso Cuarón, 2013), cette présence émotivement salvatrice de l’Autre. Chez Christopher Nolan, la force de continuer vient de cette réalité réduite au souvenir, ne pas céder à l’abattement et enlacer le vivant encore et encore, jusqu’au bout. Tel est le sens du célèbre poème Do not go gentle into that good night (1951) du poète gallois Dylan Thomas, lu à deux reprises dans le film et qui exhorte tout un chacun à « Hurler à l’agonie de la lumière ». Interstellar, servi par une esthétique qui privilégie les échanges au spectaculaire, est une ode galactique aux sentiments humains, même dans l’espace sidéral, ils sont ce qui confère à l’existence son plus bel espoir. 

Publié sur Le Plus du NouvelObs.com    

08/11/14

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