Écrit et réalisé par François Ozon, d'après une nouvelle de Ruth Rendell
... Comme une évidence
Le Ozon nouveau est arrivé !
Avec la régularité qu’on lui connaît (pratiquement un film par an), le
réalisateur revient avec un film singulier, dans la veine d’une thématique qui
lui tient à cœur, celle de l’expression d’une différence avec ses choix et ses
conséquences. Son film précédent, Jeune
et jolie (2013), accompagnait déjà les désirs particuliers d’une étudiante
ayant décidé de se prostituer, par envie, et amenée à faire face à l’incompréhension
de son entourage. Une nouvelle amie (librement
adapté d’une nouvelle de Ruth Rendell) poursuit cette démarche à travers un
bouleversement, celui qui se produit dans la vie de David qui vient de perdre Laura, son épouse et mère de sa toute petite
fille. Ce drame est vécu tout aussi profondément par Claire, l’amie d’enfance de Laura qu’elle
n’a jamais quittée. Inconsolable, chacun vit de son côté son deuil jusqu’au
jour où Claire reprend contact avec David, ce qu’elle découvre alors va
modifier sa vision de l’existence.
En effet, elle s’aperçoit que David a pris
l’habitude, chez lui, de s’habiller en femme, avec les vêtements de la défunte.
Mais point ici d’aliénation mentale comme un Norman Bates qui se glissait dans
la peau de sa mère pour commettre ses crimes dans Psychose (Hitchcock, 1960) mais
plutôt une version adulte de Ma vie en rose (Alain Berliner, 1997). L’effet de surprise passée, une
nouvelle relation émerge alors entre David et Claire, qui accepte étrangement
rapidement cette situation inédite. Si Ozon choisit le drame sentimental, il le
traite avec une certaine naïveté assumée dans une réalité idéalisée, comme dans
Angel (2006) où il choisissait une
esthétique grandiloquente pour faire corps avec son héroïne. Une nouvelle amie joue avec les
apparences pour soulever les jupes de l’ambivalence et permettre l’expression
d’un autre sens.
« C’est peut-être parce que je les désire que je veux leur
ressembler ». David (Romain Duris) aussi s’interroge sur cette envie
de devenir femme qui semble être naturelle pour lui, il en a même acquis les
manières et les attitudes (intonation de voix, gestuel…) et puis n’est-ce pas
également un moyen, certes particulier, d’offrir une mère à sa petite
fille ? Les justifications ne sont cependant pas ce qui préoccupe David,
il préfère montrer à Claire (Anaïs Demoustier) sa garde-robe et envisager des
retouches ici et là. D’abord choquée, Claire va commencer à trouver son compte
en celui qui est en train de devenir sa nouvelle amie. Mais cela est-il bien sain ?
N’est-ce pas dans le souvenir de Laura que tous les deux s’enferment à travers
ce mimétisme d’une histoire passée (le portrait peint de Laura les toise
lors de la scène à la campagne)?
S’il emprunte parfois le ton de la comédie (la
visite de la belle-mère, la scène de l’ascenseur), Ozon n’est cependant pas
dans le registre de Certains l’aiment
chaud (Billy Wilder, 1959) avec les mythiques transformations en femmes de
Tony Curtis et Jack Lemmon. Le travestissement à l’œuvre n’est pas une farce,
il y a quelque chose de profond à l’œuvre dont ni David ni Claire ne maitrisent
complétement l’évolution. Le film se situe d’avantage du côté de La fausse suivante (Benoît Jacquot,
2000) où Isabelle Hupert s’éprenait d’un homme qui était en réalité une femme
(Sandrine Kiberlain) ou du cinéma de Polanski dans le trouble et le malaise que
provoque le changement d’apparence comme dans La Vénus à la fourrure (2013) où Mathieu Amalric se paraît
d’attributs féminins. Car David n’en reste pas moins attiré par les femmes et
l’ambiguïté devient forte entre lui, Claire et Virginia (prénom donné à David
par Claire à la consonance loin d’être innocente).
Ozon n’a pas décidé de faire un
film qui montrerait la difficulté d’un homme travesti en femme à s’intégrer
dans la société. Il passe rapidement sur l’épreuve que représente la sortie de
la maison vêtu en Virginia puis préfère la focalisation sur la relation
naissante et équivoque entre les deux amies alors même que Claire est mariée à
Gilles (Raphaël Personnaz). Ainsi, la séquence du shopping montre une
complicité bien plus que les quelques regards en biais. Comme si le fait d’être
accepté tel quel par Claire était gage d’existence épanouie pour Virginia. Lawrence Anyways (Xavier Dolan, 2012)
était du même ressort et pointait la sensation viscérale d’être autre, mettre
ce qu’il y avait au fond de soi en avant, rendre visuel son ressenti intérieur.
Et la performance de Romain Duris est à souligner car il incarne avec une
sensibilité certaine un rôle exigeant qui demande un travail d’interprétation
fort afin que Virginia ne soit pas qu’un corps transformé mais bien une
personne. Une fois acquis cette personnalité, l’importance de l’habillage est
tout aussi soigné, pomponnée comme ses consœurs de 8 femmes (2001), Virginia est d’abord dans une certaine outrance
(robe rose bonbon) que double la mise en scène par la descente de l’escalier
façon diva.
C’est qu’il y a un côté conte de fée revendiqué dans Une nouvelle amie, la demeure de Claire
dans une campagne sublimée en étant le château rêvé. La ritournelle au piano en
étant la parure musicale. Claire est cependant celle qui brise cette bulle
enchantée forcément éphémère et tente de se raccrocher à la réalité : « Tu es malade ! »
assène-t-elle comme pour se convaincre de quelque chose qui ne cesse de la
troubler, l’amenant à la confusion mentale et à la spirale du mensonge envers
son mari et elle-même. Ainsi, dans l’horizon du cinéma d’Almodóvar, Ozon filme
l’éclosion d’un homme à une nature qui lui devient intensément évidente, comme
lors de la scène du cabaret où le spectacle qui s’offre à lui est cette émotion
vive qui transforme une supposition en affirmation.
Publié sur Le Plus du NouvelObs.com
Publié sur Le Plus du NouvelObs.com
09/11/14
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