Réalisé par Sam Mendes ; écrit par
John Logan, Neal Purvis et Robert Wade
... Mission post-mortem
Sam Mendes avait célébré les 50 ans de la saga de l’agent
secret ayant survécu à toutes les époques avec le crépusculaire Skyfall qu’il avait brillamment réalisé.
Cet opus était le troisième depuis le renouveau de la franchise opéré avec Casino Royale et l’arrivée de Daniel
Craig dans les habits de l’espion britannique. Pour sa première collaboration à
l’une des séries de films les plus longues de l’histoire du cinéma, le
réalisateur anglais avait eu la lourde tâche de mettre en scène des
bouleversements conséquents dont les
répercussions se font directement ressentir dans Spectre. L’aventure précédente touchait les Services Secrets en
leur cœur (on se souvient de la scène de l’explosion du quartier général devant
les yeux stupéfaits de M) et nous faisait mieux connaitre l’espion intrépide en
évoquant son enfance en Écosse. C’était dans des circonstances tragiques que le
passé et le présent se percutaient, aboutissant à la mort de M (Judi Dench
quittait un personnage qu’elle avait joué 7 fois, les numérologues
apprécieront). Un moment marquant qui restera parmi les scènes mémorables de la
saga. Le supérieur de Bond redevenait alors
un homme (Ralph Finnes), Moneypenny (Naomie Harris) faisait son grand retour
après avoir été absente de Casino Royale
et Quantum of Solace et Q (Ben
Whishaw) prenait un sérieux coup de jeune. Tous ces personnages prennent du
galon dans Spectre : il est loin
le temps où Bond ne les croisait que dans les bureaux feutrés du MI-6 ; leur
participation active, inaugurée dans le film précédent, se poursuit dans ce qui
est une mission post-mortem. En effet, un message de la défunte M met Bond sur
la piste de la plus redoutable des organisations mondiales : le SPECTRE,
un acronyme qui en révèle l’aspect fantomatique et insaisissable. Quand Bond
découvre que tous ses ennemis récents en étaient membres : trouver et
éliminer la tête de la pieuvre (leur symbole) devient l’objectif. Avec un
dynamisme et un plaisir intact, Sam Mendes continue de revisiter la mythologie
bondienne en y apportant morceaux de bravoures et éléments pertinents. Le film
est fluide et impeccable, il décline le thème de la mort pour mieux provoquer
une impulsion nouvelle.
Avec Spectre, il
apparait que les 4 films sous l’ère Daniel Craig (qui maîtrise toujours autant
sa prestation) forment un tout qui fonctionne comme un jeu de miroir, le
forcément très graphique générique d’ouverture en distille d’ailleurs des
indices. Sur une chanson de Sam Smith, un James Bond incandescent côtoie
d’inévitables et graciles silhouettes féminines mais surtout des visages
familiers comme M, le Chiffre ou Raoul Silva, méchant du dernier opus. En
plus de donner sous forme esthétique et symbolique des éléments constitutifs à
venir, le générique de Spectre, comme
le film lui-même, tisse des liens avec le passé de Bond. La peau enflammée de
l’agent secret lui confère l’aspect du phénix, ce qui sied bien à cet agent qui
toujours se relève des pires assauts. L’iconographie mêle ainsi la renaissance
et la mort et annonce un film qui se construit sur les cendres encore chaudes
de Skyfall. Peu de temps semble
s’être écoulé depuis les événements tragiques de l’opus précédent : la façade
éventrée du MI-6 surplombant la Tamise en témoigne. Les plaies sont encore
vives. Moneypenny transmet d’ailleurs à Bond ses effets personnels provenant de
la fournaise du manoir familial. La séquence pré-générique (dans un
plan-séquence emballant) participe de cette ambiance mortuaire puisqu’elle met
en scène la fête des morts au Mexique avec son défilé endiablé. Avec toute
l’ironie qui est la sienne, James Bond arbore un masque et une tenue de
squelette (lui qui s’était fait passer pour mort dans On ne vit que deux fois) : une parure en trompe l’œil qui met
en exergue les deux facettes d’un même personnage : sous le masque de la
mort, la vie, et vice-versa. « C’est
ce qui s’appelle avoir une vie, vous devriez essayer » lui lance
d’ailleurs Moneypenny quand Bond devine qu’elle entretient une relation
amoureuse. Car Spectre, comme le
déguisement inaugural, convoque les défunts (il sera même question de Vesper, la
grande tragédie amoureuse de l’agent secret qu’Eva Green avait joué dans Casino Royale) mais célèbre les
vivants : les percussions et l’engouement de la foule rendent le défilé
tonique et non funeste. Dans une scène spectaculaire au-dessus de cette
assemblée, l’espion conjure d’ailleurs la mort à bord d’un acrobatique
hélicoptère.
« Vous êtes comme
un cerf-volant dans un ouragan » : voilà Bond mis en garde par un
ennemi déjà croisé lors de films précédents. Il est vrai que l’homme, comme le
service auquel il appartient, est en pleine tempête. D’une part l’agent rebelle
est mis à pied par M (comme dans Permis
de tuer) qui doit lui-même gérer une fusion des services condamnant les
agents « double zéro ». C’est
à la française Léa Seydoux que revient l’honneur d’accompagner James bond dans
sa quête, répondant au doux nom de Madeleine Swann, elle se montre très à
l’aise dans ce rôle envié. Convaincante face à Daniel Craig, comme dans la
savoureuse scène du train où son personnage démontre sa connaissance des armes,
l’actrice joue les recours glamour (il faut la voir tirer sur l’ennemi en robe
de soirée saillante !). « Plus
réussi est le méchant, meilleur est le film » : la phrase
d’Hitchcock s’adapte parfaitement à la saga James Bond qui repose sur des codes
et des archétypes. A chaque film, son adversaire. Mais il en est un qui a
traversé la saga, véritable Némésis de Bond, Blofeld (apparu pour la dernière
fois dans Les diamants sont éternels)
resurgit dans Spectre sous les traits
de Christoph Waltz. L’acteur (qui avait exercé ses talents de colonel sadique
dans Inglourious Basterds) compose un
antagoniste exquis, aussi élégant que machiavélique. La lutte avec le cerveau
ultime se devait d’être aussi explosive que surprenante. Sam Mendes parvient, à
l’intérieur de ce cadre qu’est la franchise, à provoquer stupeur et tremblements
en confrontant James Bond au pourvoyeur de mort le plus implacable qu’il ait rencontré.
Car si les scènes d’actions (aussi bien dans la neige que sur la Tamise) sont
impressionnantes, c’est bien encore le destin intime du héros, entamé avec Casino Royale, qui étonne en trouvant
dans les ruines de Spectre une
révélation et un accomplissement.
Publié sur Le Plus de L'Obs.com
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