lundi 7 décembre 2015

► MACBETH (Cannes 2015)

Réalisé par Justin Kurzel ; écrit par Todd Louiso, Jacob Koskoff et Michael Lesslie, d'après l’œuvre de William Shakespeare 


... Le pouvoir et l'effroi
 

Le réalisateur australien Justin Kurzel est un cinéaste qui a de l’audace et Cannes ne s’est pas trompé en sélectionnant son film en compétition officielle. Car il faut une confiance en soi certaine pour s’attaquer à une énième adaptation de la tragédie mondialement connue qu’est le Macbeth de Shakespeare, écrite en 1606. Voilà une pièce, inspiré d’un personnage historique, qui a traversé les siècles et dont l’intérêt ne s’est jamais démenti. Mainte fois représentée au théâtre, la tragédie écossaise a même eu droit à plusieurs opéras, dont celui de Verdi. Il n’est donc pas étonnant que dès ses débuts, le cinéma ait consacré à cette ténébreuse aventure de nombreux films. Trois adaptations demeurent fameuses et elles sont le fait de réalisateurs renommés : Orson Welles en 1948, Akira Kurosawa en 1957 et Roman Polanski en 1971. L’héritage était donc conséquent pour Justin Kurzel qui n’avait alors à son actif qu’un seul long métrage mais quel film ! En effet, ne choisissant déjà pas la facilité, il avait mis en scène un atroce fait divers survenu en Australie. Les crimes de Snowtown est un film ravageur qui laisse le spectateur dans un violent état de sidération. La capacité du cinéaste à nous faire ressentir l’horreur derrière le quotidien était déjà une marque prometteuse. L’irruption du mal et sa contamination était sous-jacente à ce premier film, le thème se répand avec toute l’ampleur permise par la pièce dans son adaptation de Macbeth. Car s’emparer du texte d’un dramaturge comme Shakespeare et marcher dans les pas cinématographiques d’illustres prédécesseurs n’a de sens que si le réalisateur s’approprie d’une façon personnelle ce qui est déjà connu de tous. L’histoire de Macbeth évoque en effet, peu ou prou, des souvenirs chez le spectateur. Un pays : l’Écosse, une prophétie qui fait d’un honnête combattant un tyran après avoir assassiné son roi : Macbeth, une épouse incitatrice bientôt rongée par le remord : Lady Macbeth. Cette nouvelle vision de l’œuvre révèle rapidement ses qualités : c’est avec une classe brutale et une beauté mortuaire que s’incarne à l’écran cette ascension cinglante et sanglante. 


« Valeureux Macbeth ! » : ce sont par ces termes élogieux que le roi Duncan accueil son fidèle allié dans son conflit qui l’oppose à des troupes ennemis. Celui qui est encore baron de Glamis est ainsi l’exact contraire du personnage qu’il sera par la suite, ce que reflète bien le film en mettant en miroir cette bataille inaugurale avec celle qui clôturera la destinée de Macbeth. L’une montre le courage et la volonté de servir avec un engouement épique : les ralentis et l’exagération sonore confère à Macbeth une rage esthétique et porteuse. C’est un homme entouré, un meneur (la peinture guerrière traditionnelle du visage rappelle celle de Mel Gibson dans Braveheart) qui porte attention à ses compagnons (comme avec le jeune guerrier ou encore ce frère d’arme décédé qu’il garde dans ses bras), loin de l’égoïste paranoïaque, isolé et détesté, qu’il va devenir. L’affrontement final avec MacDuff se déroule par contraste dans une atmosphère singulièrement différente : à la masse répond l’individualité, à la conviction répond la déception, à la vaillance la décadence. Les teintes grises et boueuses cèdent la place à l’image rougeoyante d’une déchéance brûlante. Ce n’est plus lui qui verse le sang (ce sur quoi insiste la première scène), mais le sang qui se déverse de lui. Montrer en ouverture l’évènement belliqueux est un parti pris de Justin Kurzel car il n’existe dans la pièce que par le récit postérieur d’un personnage. D’ailleurs, aucun des trois films de référence cités ne l’avait mis en scène. En faisant le choix de cette symétrie, le réalisateur va dans le sens du tragique et de la fatalité : exacerber la gloire ne donne que plus de force à la chute. Car l’histoire est aussi celle d’une conversion : celle d’un homme brave (Lady Macbeth ne dit-elle pas à propos de la nature de son mari : « Elle est trop pleine du lait de la bonté humaine ») métamorphosé par les feux de l’ambition.


Le choix des interprètes est une étape cruciale dans ce genre d’adaptation qui repose sur des personnages forts et complexes ayant été incarnés de nombreuses fois par différents acteurs. Comment oublier Orson Welles se mettant lui-même en scène en Macbeth ? Ou encore Jon Finch chez Polanski ? Le réalisateur a fait confiance à Michael Fassbender pour relever ce défi. L’acteur fétiche de Steve McQueen (Hunger, Shame, Twelve Years a Slave) avait déjà prouvé l’intensité de son jeu et il trouve dans ce grand rôle shakespearien la matière pour impressionner. Son Macbeth répercute toutes les nuances d’une personnalité torturée par la crainte sans fin d’être déchu, son regard avide exprime la folie destructrice. A l’aise aussi bien dans une scène de combat que pendant un dialogue intimiste, l’acteur propose une version intense du roi meurtrier. Sa partenaire est notre Marion Cotillard nationale qui continue sa carrière à l’étranger avec des choix de films judicieux (après The Immigrant de James Gray en 2013). Un rôle comme celui de Lady Macbeth ne se refuse pas et l’actrice ne démérite pas dans son interprétation sobre et élégante de l’influente femme. Le texte de Shakespeare (par ailleurs respecté par le cinéaste) est dit avec assurance et juste ce qu’il faut de venin pour insinuer l’impulsion à un Macbeth réticent : « Ressemblez à la fleur innocente mais soyez le serpent qui se cache sous elle ». Le réalisateur leur permet d’ailleurs à chacun de déclamer deux monologues importants dans des prestations en plans fixes qui laisse le texte et l’émotion emplir l’image. A n’en pas douter satisfait, Justin Kurzel tournera de nouveau avec le duo pour sa très attendue adaptation d’Assassin’s Creed. Dans Les crimes de Snowtown, le cinéaste avait filmé l’effroyable anesthésie du mal, son Macbeth lui permet de scruter la dévastation du crime et sa fatale surenchère. Dans une tragique et magnifique fin, il renouvelle de façon inattendue le célèbre épisode de la marche de la forêt et dénoue avec maestria l’implacable destin d’une perdition.  

Publié sur Le Plus de L'Obs.com


21/11/15 

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