Réalisé par Valérie Donzelli ; écrit par Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm, d'après un scénario de Jean Gruault
... La liaison dangereuse
Valérie Donzelli aime les
histoires vraies : Marguerite et
Julien, en compétition officielle à Cannes cette année, s’inspire librement
des amours interdites entre un frère et une sœur au début du XVII ème siècle.
La guerre est déclarée (2011), succès
critique et public mérité, était une évocation du combat personnel qu’elle
avait mené avec son compagnon et acteur fétiche, Jérémie Elkaïm, face à la
maladie de leur fils. L’atypique réalisatrice sait donc doser les accents de
vérité : elle avait réussi à transformer son épreuve intime en un
virevoltant étendard d’espoir mais comment allait-elle s’approprier une
authentique tragédie familiale ? Car la cinéaste française détonne, ses
œuvres singulières oscillent entre comique de l’absurde et surréalisme :
le fantaisiste La reine des pommes
ouvrait le bal en posant les bases d’un univers qui allait s’avérer constant. La guerre est déclarée, malgré son sujet
dramatique, déployait une énergie courageuse qui ne négligeait pas le rire
tandis que le farfelu Main dans la main
offrait à Valérie Lemercier un rôle pétillant. Tous s’articulent autour de la
grande question qu’est l’amour : les personnages mis en scène par Valérie
Donzelli sont sous le coup de grandes passions : amoureuses, amicales ou
familiales. L’histoire de Marguerite et Julien de Ravalet ne pouvait donc que
séduire une réalisatrice anticonformiste. Le sujet est délicat et peut mettre
mal à l’aise mais la cinéaste n’est évidemment pas intéressée par l’odeur de
soufre, ce qui exclut tout voyeurisme et complaisance. Fidèle à son cinéma,
c’est dans l’émotion des sentiments qu’elle cale sa caméra, avec justesse et
délicatesse. Inséparables depuis leur plus jeune âge, Marguerite et Julien
coulent des jours heureux dans le domaine familial, entre le château et son
parc, isolés d’un monde qui va bientôt les heurter de plein fouet. Devenus
jeunes adultes, ils semblent les seuls à ignorer l’ambiguïté d’une relation
devenue de plus en plus malsaine aux yeux des autres. La pression de la société
comme de leur entourage va bientôt mettre en péril leur adoration, aussi vive
que taboue. L’humour caractéristique de Valérie Donzelli laisse la place à une
tendresse exacerbée et à un romanesque trépidant mais c’est toujours avec son
style revigorant qu’elle se lance dans l’aventure amoureuse de cette liaison
dangereuse.
La réalisatrice aborde son
histoire avec malice en choisissant la forme du conte. En effet, elle adoucit
ainsi la relation défendue en l’écartant du sordide pour en faire un récit
intemporel qu’on écoute avec la distance adéquate. Le sésame du genre ouvre
d’ailleurs le film « Marguerite et
Julien ont vécu il y a longtemps, bien longtemps… », le plan du
château qui suit joint le décor à la promesse. Située en Basse-Normandie, il
s’agit de la véritable demeure de la famille de Ravalet (Château de
Tourlaville) qui a tout du paysage merveilleux. Les films de Valérie Donzelli
sont très liés entre eux, elle reprend ainsi son habituel principe d’un
narrateur en voix off en la personne d’une surveillante d’orphelinat qui
raconte aux petites pensionnaires la mythique histoire des amants maudits. Car
c’est bien le statut auquel a accédé le tragique mélodrame et que la mise en
scène instaure subtilement. Le public enfantin est celui des contes, l’heure
est celle de la veillée, propice aux confidences. Le récit s’anime pour devenir
une chanson de geste où les actes deviennent des exploits en ombres chinoises.
La puissance de cet amour n’a d’égal que son interdit, ce qui évoque
immanquablement d’autres grands destins de couples contrariés : Roméo et
Juliette (les prénoms des protagonistes de La
guerre est déclarée), Tristan et Iseut ou encore Orphée et Eurydice, tous
ont lutté, envers et contre tout, animés par le seul désir amoureux. « Notre amour est une malédiction »
déclare Marguerite (Anaïs Demoustier, gracile poupée de porcelaine) donnant à
la force de l’attirance la valeur d’un destin. Comme elle le faisait dès son
premier film, la réalisatrice utilise des ouvertures et des fermetures à l’iris
(typique du cinéma muet) qui confère à l’ensemble ce côté suranné qui va dans
le sens d’une temporalité fluctuante.
Car si l’époque de l’histoire
originelle est le XVII ème, elle n’est pas exclusivement celle du
film. On retrouve là l’extravagance dont est coutumière la cinéaste (Main dans la main mettait en scène un
couple coquasse soudainement obligé de littéralement se suivre sans cesse suite
à un sortilège mystérieux). Malgré la tonalité grave du propos, elle s’amuse
d’anachronismes qui ne perturbent en rien l’histoire et participent à la
séduction de l’étrange. On parle ainsi d’un roi de France alors que des forces
de l’ordre interviennent en hélicoptère (on peut y voir un clin d’œil à la
fameuse scène de Peau d’âne chez
Jacques Demy, autre amateur de conte), on se déplace en carriole mais on peut
apercevoir une voiture, on entend de la musique classique (souvent utilisée par
Valérie Donzelli) côtoyer de la contemporaine. Ces ambivalences nous ramènent
au couple de Marguerite et Julien qui cristallise les passions. Si le cinéma
français a déjà filmé des amours défendus (Mourir
d’aimer avec Annie Girardot ou Le
souffle au cœur de Louis Malle, tous deux sortis en 1971), aucun n’avait
pris la forme de cette course effrénée mêlant peur et bonheur. Influencée par
le cinéma de François Truffaut, la réalisatrice trouve là l’occasion de s’en
rapprocher explicitement puisque son scénario s’inspire de celui de Jean
Gruault, écrit précisément pour le grand cinéaste. « La meilleure façon d’éviter le péché, c’est d’en fuir les occasions » :
le prêtre de la famille met en garde Julien dont il a compris les intentions.
Cette sentence résonne comme un écho inversé à la célèbre citation d’Oscar
Wilde extraite du Portrait de Dorian Gray :
« Le seul moyen de se débarrasser
d’une tentation est d’y céder ». L’amour réprimandé par la morale des
deux fugitifs a ceci de singulier qu’il a la naïveté de l’enfance. Leur avis de
recherche n’est d’ailleurs pas sans évoquer les dessins stylisés de Jean
Cocteau, cinéaste du conte (La Belle et
la Bête) et du mythe (Orphée)
mais aussi des émois équivoques (Les
parents terribles). Valérie Donzelli est une réalisatrice qui ose proposer
des choses différentes, tant sur la forme que sur le fond, son Marguerite et Julien ne fait pas
exception. Elle transcende un élan enfantin en un amour perdurant, par-delà les
temps, par-delà les jugements.
05/12/15
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