mardi 8 décembre 2015

► MARGUERITTE ET JULIEN (Cannes 2015)

Réalisé par Valérie Donzelli ; écrit par Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm, d'après un scénario de Jean Gruault


... La liaison dangereuse


Valérie Donzelli aime les histoires vraies : Marguerite et Julien, en compétition officielle à Cannes cette année, s’inspire librement des amours interdites entre un frère et une sœur au début du XVII ème siècle. La guerre est déclarée (2011), succès critique et public mérité, était une évocation du combat personnel qu’elle avait mené avec son compagnon et acteur fétiche, Jérémie Elkaïm, face à la maladie de leur fils. L’atypique réalisatrice sait donc doser les accents de vérité : elle avait réussi à transformer son épreuve intime en un virevoltant étendard d’espoir mais comment allait-elle s’approprier une authentique tragédie familiale ? Car la cinéaste française détonne, ses œuvres singulières oscillent entre comique de l’absurde et surréalisme : le fantaisiste La reine des pommes ouvrait le bal en posant les bases d’un univers qui allait s’avérer constant. La guerre est déclarée, malgré son sujet dramatique, déployait une énergie courageuse qui ne négligeait pas le rire tandis que le farfelu Main dans la main offrait à Valérie Lemercier un rôle pétillant. Tous s’articulent autour de la grande question qu’est l’amour : les personnages mis en scène par Valérie Donzelli sont sous le coup de grandes passions : amoureuses, amicales ou familiales. L’histoire de Marguerite et Julien de Ravalet ne pouvait donc que séduire une réalisatrice anticonformiste. Le sujet est délicat et peut mettre mal à l’aise mais la cinéaste n’est évidemment pas intéressée par l’odeur de soufre, ce qui exclut tout voyeurisme et complaisance. Fidèle à son cinéma, c’est dans l’émotion des sentiments qu’elle cale sa caméra, avec justesse et délicatesse. Inséparables depuis leur plus jeune âge, Marguerite et Julien coulent des jours heureux dans le domaine familial, entre le château et son parc, isolés d’un monde qui va bientôt les heurter de plein fouet. Devenus jeunes adultes, ils semblent les seuls à ignorer l’ambiguïté d’une relation devenue de plus en plus malsaine aux yeux des autres. La pression de la société comme de leur entourage va bientôt mettre en péril leur adoration, aussi vive que taboue. L’humour caractéristique de Valérie Donzelli laisse la place à une tendresse exacerbée et à un romanesque trépidant mais c’est toujours avec son style revigorant qu’elle se lance dans l’aventure amoureuse de cette liaison dangereuse.


La réalisatrice aborde son histoire avec malice en choisissant la forme du conte. En effet, elle adoucit ainsi la relation défendue en l’écartant du sordide pour en faire un récit intemporel qu’on écoute avec la distance adéquate. Le sésame du genre ouvre d’ailleurs le film « Marguerite et Julien ont vécu il y a longtemps, bien longtemps… », le plan du château qui suit joint le décor à la promesse. Située en Basse-Normandie, il s’agit de la véritable demeure de la famille de Ravalet (Château de Tourlaville) qui a tout du paysage merveilleux. Les films de Valérie Donzelli sont très liés entre eux, elle reprend ainsi son habituel principe d’un narrateur en voix off en la personne d’une surveillante d’orphelinat qui raconte aux petites pensionnaires la mythique histoire des amants maudits. Car c’est bien le statut auquel a accédé le tragique mélodrame et que la mise en scène instaure subtilement. Le public enfantin est celui des contes, l’heure est celle de la veillée, propice aux confidences. Le récit s’anime pour devenir une chanson de geste où les actes deviennent des exploits en ombres chinoises. La puissance de cet amour n’a d’égal que son interdit, ce qui évoque immanquablement d’autres grands destins de couples contrariés : Roméo et Juliette (les prénoms des protagonistes de La guerre est déclarée), Tristan et Iseut ou encore Orphée et Eurydice, tous ont lutté, envers et contre tout, animés par le seul désir amoureux. « Notre amour est une malédiction » déclare Marguerite (Anaïs Demoustier, gracile poupée de porcelaine) donnant à la force de l’attirance la valeur d’un destin. Comme elle le faisait dès son premier film, la réalisatrice utilise des ouvertures et des fermetures à l’iris (typique du cinéma muet) qui confère à l’ensemble ce côté suranné qui va dans le sens d’une temporalité fluctuante.


Car si l’époque de l’histoire originelle est le XVII ème, elle n’est pas exclusivement celle du film. On retrouve là l’extravagance dont est coutumière la cinéaste (Main dans la main mettait en scène un couple coquasse soudainement obligé de littéralement se suivre sans cesse suite à un sortilège mystérieux). Malgré la tonalité grave du propos, elle s’amuse d’anachronismes qui ne perturbent en rien l’histoire et participent à la séduction de l’étrange. On parle ainsi d’un roi de France alors que des forces de l’ordre interviennent en hélicoptère (on peut y voir un clin d’œil à la fameuse scène de Peau d’âne chez Jacques Demy, autre amateur de conte), on se déplace en carriole mais on peut apercevoir une voiture, on entend de la musique classique (souvent utilisée par Valérie Donzelli) côtoyer de la contemporaine. Ces ambivalences nous ramènent au couple de Marguerite et Julien qui cristallise les passions. Si le cinéma français a déjà filmé des amours défendus (Mourir d’aimer avec Annie Girardot ou Le souffle au cœur de Louis Malle, tous deux sortis en 1971), aucun n’avait pris la forme de cette course effrénée mêlant peur et bonheur. Influencée par le cinéma de François Truffaut, la réalisatrice trouve là l’occasion de s’en rapprocher explicitement puisque son scénario s’inspire de celui de Jean Gruault, écrit précisément pour le grand cinéaste. « La meilleure façon d’éviter le péché, c’est d’en fuir les occasions » : le prêtre de la famille met en garde Julien dont il a compris les intentions. Cette sentence résonne comme un écho inversé à la célèbre citation d’Oscar Wilde extraite du Portrait de Dorian Gray : « Le seul moyen de se débarrasser d’une tentation est d’y céder ». L’amour réprimandé par la morale des deux fugitifs a ceci de singulier qu’il a la naïveté de l’enfance. Leur avis de recherche n’est d’ailleurs pas sans évoquer les dessins stylisés de Jean Cocteau, cinéaste du conte (La Belle et la Bête) et du mythe (Orphée) mais aussi des émois équivoques (Les parents terribles). Valérie Donzelli est une réalisatrice qui ose proposer des choses différentes, tant sur la forme que sur le fond, son Marguerite et Julien ne fait pas exception. Elle transcende un élan enfantin en un amour perdurant, par-delà les temps, par-delà les jugements.


05/12/15

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