mardi 22 mars 2016

► MIDNIGHT SPECIAL (2016)

Écrit et réalisé par Jeff Nichols


... Le jour du prodige


Le retour du réalisateur américain Jeff Nichols derrière la caméra va surprendre ! Découvert en 2007 avec Shortgun stories, il s’impose très vite comme un cinéaste talentueux qui se voit consacrer dès son deuxième film, Take Shelter, en obtenant le Prix de la Semaine de la critique (Cannes 2011). Le Festival croit, à raison, en la qualité de son cinéma, et lui offre une place dans sa sélection officielle en 2012 pour le très réussi Mud : Sur les rives du Mississipi où plane l’esprit de Mark Twain. Au regard de cette filmographie, Midnight special (qui a été en compétition à la Berlinale en Février) apparaît comme une nouvelle expérience pour un Jeff Nichols qui a toujours ancré ses histoires dans le concret : du conflit familial entre frères au récit initiatique en passant par un quotidien bouleversé par la paranoïa, ses sujets révélaient un intérêt pour la comédie dramatique. Son nouveau film se démarque par une orientation inédite : le fantastique. Et c’est une séduisante surprise ! Il n’est jamais évident pour un réalisateur de changer de registre tout en conservant sa patte, Jeff Nichols s’y emploie et transforme l’essai en dosant l’émergence d’un surnaturel qui lui permet d’aborder différemment le lien humain. Un enfant se retrouve en effet au cœur d’une attention fébrile suite à son kidnapping. Alton est en réalité en compagnie de son père, Roy et d’un ami à celui-ci, Lucas : le trio semble au contraire protéger l’enfant contre une secte prête à tout pour le récupérer. Car le temps est compté : dans quatre jours doit se produire un événement dont on ignore la teneur mais qui devrait bouleverser le monde et Alton en serait l’élément clé. Le jeune garçon s’avère unique : il possède des capacités hors du commun dont la manifestation la plus spectaculaire réside en un spectre lumineux qui surgit de ses yeux. Cet être exceptionnel a pourtant la fragilité d’un enfant et c’est tout le paradoxe. Traqués de toutes parts, le trio, rejoint par Sarah (Kirsten Dunst), la mère du prodige, se lance dans une course pleine de doutes et d’embûches avec pour dénominateur commun l’inconnu. Midnight special est un film mystérieux et trépidant qui traite de façon originale la question de la perception du monde et des autres.

Avec Take Shelter, Jeff Nichols avait déjà démontré sa capacité à instaurer un climat progressivement anxiogène, conduisant le quotidien à sa destruction lente. Le mal larvé qui poussait le père de famille à la déraison laisse place ici à l’immédiateté du dérèglement, d’où un début in medias res et un film qui prend la forme d’une poursuite. Une poursuite à plusieurs niveaux : le quatuor est en fuite avec pour objectif de rejoindre un lieu sans savoir ce qui s’y passera (dans la grande tradition de classique du genre comme Rencontres du troisième type ou Starman), les membres de la secte sont à leurs trousses pour récupérer Alton, la pièce maitresse de leur « religion », et enfin, le gouvernement (via le FBI et la NSA), qui veut mettre la main sur le pouvoir du jeune garçon. Le film pratique le montage alterné pour maintenir dans un suspense commun l’ensemble des poursuivants et poursuivis, ce qui permet (l’histoire ayant commencé abruptement) d’entrevoir quelques explications sur les événements déjà en cours, d’où l’intérêt des interrogatoires menés sur les membres de la secte. Cette rapidité d’entrée en action va de pair avec l’enjeu de la temporalité : une date butoir rythme le déroulé de l’échappée, le gourou le rappel à ses sbires tandis que Lucas se demande si Alton tiendra le choc jusque-là. L’alternance entre le jour et la nuit participe de cette dramaturgie calendaire : la première partie du film bénéficie d’une belle ambiance nocturne avec un travail sur la variante des tons bleutés. L’enfant aux yeux lumineux ne supporte pas le soleil, faisant de lui un équivalent des enfants de la lune (surnommés ainsi pour leur intolérance épidermique aux rayons). La lumière du jour se fait plus présente dans un second temps suite à un événement fondamental et la mise en scène s’articule alors autour de ce contraste qui est une bascule dans le récit : la luminosité a changé comme l’interaction entre les personnages, Alton en tête. 

Car l’irruption du surnaturel est également un vecteur de changement et de rapprochement : l’enlèvement de Alton (Jaeden Lieberher) permet à Roy (Michael Shannon, l’acteur fétiche du cinéaste)  de retrouver son fils, de le ramener à sa mère, elle-même revoit ainsi son mari. Le personnage de Lucas (Joel Edgerton) participe de cet échange altruiste : il fait preuve d’une amitié sans faille alors que celle-ci est mise à l’épreuve. Cette chaleur humaine et protectrice est aussi ce qui fait la beauté du film, entre liens qui se créent (comme avec Paul Sevier (Adam Driver), l’agent du gouvernement) et nécessité de les rompre, avec Alton comme catalyseur. Tout le film développe la notion du regard posé sur autrui : le premier plan n’est-il pas celui du judas de la porte (camouflé) ? L’enfant porte d’improbables lunettes de plongée bleue comme Lucas chaussera une paire de lunettes à vision nocturne et le rayon luminescent (rappelant celui de Cyclope dans X-men ou celui de Superman dont Alton lit les aventures) provient, précisément, de ses yeux. Il est perçu comme le Sauveur par la secte, comme une arme par le gouvernement et simplement comme un fils pour ses parents. Tous lui confèrent un statut différent selon le regard qu’ils lui portent. Le dispositif des écrans de contrôle lors de sa captivité est une mise en abyme de ces visions démultipliées et trompeuses. Mais lui, quel perception a-t-il de lui-même ? Il lui faudra trouver la réponse pour déclencher une issue surprenante et impressionnante. Le choix du fantastique se révèle donc astucieux puisque cela permet au cinéaste d’aborder avec un côté merveilleux la connexion entre les êtres et le rapport au réel. Midnight special est un enchantement haletant qui nous laisse suspendus à l’avenir donc au possible. 

Publié sur Le Pus de L'Obs.com

16/03/2016

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