Réalisé par Ridley Scott ; écrit par John Logan et Dante Harper
... Créatures et créateurs
Presque 40 ans déjà que le Xénomorphe
du film Alien : le huitième passager
(1979) hante l’histoire du cinéma, devenue la figure de proue d’une saga
stellaire horrifique aux grandes qualités ayant pour principe d’avoir vu chacun
de ses opus réalisé par un cinéaste de renom à l’univers spécifique. 2012
avait marqué un tournant avec le retour tant espéré de Ridley Scott aux manœuvres
après 15 ans de jachère avec Prometheus.
Réalisateur inaugural qui donna le tempo de la série de films, il avait laissé
sa place à James Cameron (Aliens, le retour,
1986), David Fincher (Alien 3, 1992)
puis notre français Jean-Pierre Jeunet (Alien,
la résurrection, 1997). Ce 5ème film avait pris la forme d’une
préquelle situé 29 ans avant l’action du premier et donc sans le personnage
mythique de Ripley qui lança la carrière de Sigourney Weaver. Prometheus se distingue de la saga en
ayant l’ambition alléchante, non plus de reprendre uniquement le schéma de l’affrontement
entre humain et créature, mais de nous faire découvrir les origines du monstre
extra-terrestre. Le professeur Elisabeth Shaw, suite à des indices rupestres
laissés sur Terre, part à la recherche de ceux qu’elle pense être les fondateurs
des êtres humains. Son périple la mène, elle et son équipe ainsi que l’androïde
David, sur une planète inconnue où elle en apprend plus sur ces « Ingénieurs » ;
mais s’ils trouvent des réponses, ils se font également contaminés par un virus
qui fait éclore, sous sa forme primitive, un redoutable Xénomorphe…Alien Covenant reprend 10 ans après ces
événements et lui est intrinsèquement lié, ce qui fait de l’ensemble un diptyque.
Un vaisseau cargo avec à son bord de nombreux colons et des embryons destinés à
peupler une planète habitable est touché par une éruption stellaire qui oblige
l’androïde Walter (modèle similaire à David) à réveiller en urgence l’équipage
en biostase. Au cours des réparations, un étrange signal humain est capté en
provenance de l’espace : l’ordinateur de bord localise la source qui se
situe sur une planète à proximité, celle-ci possède une atmosphère et le
commandant décide d’y mener une exploration. Attaqués par des créatures, ils
sont sauvés par un homme mystérieux qui n’est autre que David : les voilà
donc sur la planète des Ingénieurs mais tous ont été terrassés et l’ambivalent
androïde semble dissimuler bien des secrets… Ridley Scott poursuit avec enthousiasme, et
pour notre satisfaction, sa genèse version Alien
en prenant le temps de développer un propos qui met en tension le pouvoir
créateur et ses effets : une optique palpitante qui réserve bien des
surprises pour cette saga régénérée.
La franchise conserve sa
spécificité dans le choix d’un personnage féminin meneur : si Ripley en
reste le modèle par excellence, la relève a suivi avec Elisabeth (Noomi Rapace)
d’abord et sa quête des origines puis avec Daniels (Katherine Waterson) dans Alien Covenant qui dès le début fait
preuve de caractère en s’opposant au commandant. Celui-ci veut se détourner
vers le signal alors que Daniels souligne le danger potentiel que cela
représente. L’ordinateur de bord (s’il était masculin dans le mémorable 2001 : L’Odyssée de l’espace, le
fameux HAL) est dès le début féminin
chez Ridley Scott : l’équipage s’adresse à lui en l’appelant « Mère », comme dans le premier opus.
Ce qui va dans le sens d’un film où il est littéralement question de naissance
et de ceux qui la donnent : si Prometheus
apportait sa réponse concernant les origines humaines, Alien Covenant explicite la mise au monde de la créature à la mâchoire
acérée. C’est en toute cohérence que le film se déploie : on retrouve dans
les décors les visages sculptés monumentaux aperçus précédemment et une brève
séquence nous montre les Ingénieurs sur leur planète, dans leur ville, avant la
catastrophe qui en fera une nécropole angoissante. Prometheus avait déjà largement déplacé l’intrigue en dehors du
vaisseau (topographie devenue la marque visuelle de la saga avec ses longs
couloirs, ses sas et sa carlingue), ce nouvel opus accentue encore ce
dépaysement en proposant même une échappée dans une flore qui rappelle l’environnement
de Predator. Cette orientation vers
le sol qui se substitue à l’espace permet précisément de donner un cadre à l’éclosion
de l’affreux, un endroit formalisé qui prend la forme d’une grotte ancestrale,
comme un écho à l’habitat primitif des premiers hommes. Si l’idée de la
filiation était le fil conducteur de la première partie du diptyque, le
principe de création anime la seconde.
Seul rescapé du film précédent,
David (Michael Fassbender) se dévoile dans un prologue où il échange avec Peter
Weyland, dirigeant de la compagnie Weyland, à l’origine des missions scientifiques
ou de colonisations des films Alien.
Dans un décor épuré aux allures de musée minimaliste, il est question des interrogations
fondamentales sur l’existence pour lesquelles David montre déjà un intérêt et
une certaine arrogance : « Vous
êtes mortel » assène-t-il à son créateur, lui l’androïde qui n’aura de
cesse de s’émanciper. Le rappel à l’ordre de Weyland se veut subtil : en
lui demandant de lui servir le thé, il réaffirme la dialectique du maître et du
serviteur. Mais David se rêve non pas exécuteur mais créateur (la scène de l’enseignement
de la flûte à Walter est une litote annonciatrice). Il refuse son statut de « machine »
et la rencontre avec cette forme de vie extra-terrestre va être pour lui l’occasion
d’exercer un talent terrifiant animé par le désir de perfection (ne doit-il pas
son nom au David de Michel-Ange ?). L’ombre de Mary Shelley et de son Frankenstein plane inexorablement sur Alien Covenant : un plan furtif de
David se reflétant sur une surface déformante en fait un être effrayant et duel :
tout à la fois créature et créateur. Son cabinet de curiosités zoologiques s’apparente
à une petite boutique des horreurs où les révélations se font saisissantes. Les
évolutions de la bête sont à l’honneur et le film propose des interactions
inédites avec cette race mortelle qui rappellent les tentatives humaines à l’œuvre
dans Le jour des morts-vivants (Romero,
1986). Ridley Scott ne se contente ainsi pas de pourvoir la saga qu’il a initié
d’un passé explicatif, avec Alien Covenant, il prolonge l'engendrement, au son de L’Entrée des Dieux au Walhalla (L’or du Rhin, Wagner), de thèmes
profonds qui ouvrent à une nouvelle et riche réflexion sur cet univers décidément
monstrueusement fascinant.
10/05/2017
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