Écrit et réalisé par Kim Seong-hoon, d'après l’œuvre de So Jae-won
... Les intérêts souterrains
Au fil des ans, le cinéma sud-coréen
s’est fait une vraie place dans les salles françaises, ce qui a permis aux
spectateurs de découvrir des œuvres variées, parfois insolites, toujours
surprenantes, qui ont imposé à raison des réalisateurs talentueux tels Kim ki-duk
(Pieta), Park Chan-wook (Old Boy), Bong Joon-ho (The Host) ou bien Kim Jee-woon (J’ai rencontré le diable). Kim
Seong-hoon n’a pas encore la notoriété de ses aînés mais son cinéma efficace
mêlant action, comédie et thriller est un cocktail qui devrait asseoir sa
réputation. Son troisième long métrage et deuxième à sortir chez nous, Tunnel, montre une nouvelle fois l’ingéniosité
d’un cinéaste qui avait déjà su convaincre avec son tonitruant Hard Day (2014) qui fut d’ailleurs présenté
à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs, il y a des signes qui ne trompent pas !
Son goût pour l’exiguïté avait donné lieu à des scènes particulièrement
réussies dans ce film au suspense redoutable, véritable course contre la montre,
rythmé par des rebondissements incessants. Il retrouve cette inclination pour Tunnel qui est en grande partie un huis
clos se déroulant dans l’espace topographique cité par le titre. Jeong-soo
rentre chez lui après sa journée de travail, sa femme et sa fille l’attendent
car c’est l’anniversaire de la petite. En s’engouffrant seul dans un tunnel à
flanc de montagne tout juste inauguré, le pauvre conducteur ignore la catastrophe
qui va le heurter de plein fouet : la structure s’écroule à son passage et
le voilà prisonnier d’un enfer fait de roches et de bétons. Son seul contact
avec l’extérieur est son téléphone portable, à la batterie forcément limitée.
Les secours s’organisent sous l’œil des médias et du gouvernement mais la
mission est périlleuse et les intérêts de chacun pourraient bien condamner l’enseveli
à son sort minéral… Rappelant le très médiatique éboulement de la mine de Copiapó
au Chili en 2010 où 33 mineurs restèrent enfermés 69 jours sous terre (raconté
dans le film Les 33), Tunnel est l’adaptation d’un roman de So
Jae-won. Le film se concentre sur la survie d’un homme et sur les efforts des
équipes de sauvetage avec suspense et intensité mais l’histoire contient en
creux une vive critique d’un système médiatique qui se nourrit à ses propres
fins du drame ainsi que de politiques avides de leur notoriété. Édifiant et
prenant.
Si on ne pourra jamais faire plus
étroit que le cercueil en bois dans lequel se retrouve cloitré le protagoniste
de Buried (1h35 sans échappatoire !),
l’éboulement dont est victime Jeong-soo ne lui laisse que peu de marge de manœuvres :
à peine quelques mètres carrés à l’intérieur de l’habitacle de son véhicule. Cerné
par les débris d’un tunnel qui lui est littéralement tombé sur la tête, la
difficulté est double : essayer de trouver une position à peu près tenable
sans provoquer un nouvel effondrement. Ce défi du personnage devient ipso facto
celui de la réalisation qui doit jouer avec cet espace réduit. Kim Seong-hoon
se sert de son expérience sur Hard Day
où il s’était amusé à mettre ses anti-héros dans des situations où le
confinement devenait un enjeu dramatique puissant, comme lors d’une épique
scène de bagarre où les deux ennemis s’affrontaient sous un meuble renversé !
Le cadre se fait donc rocheux et poussiéreux, n’offrant qu’un oppressant
horizon d’éboulis. Les contorsions du protagoniste sont d’autant plus
perceptibles que la caméra filme en plans rapprochés, telle que le veut la
contrainte du lieu. La lumière est au diapason puisque les seules sources
lumineuses sont le plafonnier de la voiture et des lampes de poches. A l’instar
de Buried, Jeong-soo possède un
téléphone portable qui va être son lien avec l’extérieur : « C’est sa bouée de sauvetage »
déclare le chef des opérations. Mais il va évidemment falloir économiser la
batterie : l’utilisation de la technologie est ainsi à double tranchant.
La radio qu’il arrive à préserver est également cette fenêtre sonore vers un
extérieur inaccessible qui est comme l’écho d’une civilisation qui manque et
qui fait du bien : comme lorsque cette station classique diffuse un
morceau pop pour faire plaisir à cet auditeur isolé. Gravity (2013) procédait de même avec l’écho terrien de l’Inuit,
émouvant aux larmes son héroïne désespérée.
Et si la victime est figée dans
ce chaos d’amas, l’effervescence règne à l’extérieur : Tunnel alterne les deux points de vue
pour élargir la situation d’un homme à celle de tout un pays. En effet, les
télévisions ne tardent pas à s’emparer de l’accident et cette omniprésence des
journalistes gênent les secouristes, ce que le film résume en une séquence très
amusante où une multitude de drones s’élancent à la suite de celui des
sauveteurs, comme une nuée en quête du scoop. Car l’humour est bien présent,
par petites doses, comme une soupape : c’est une constante chez Kim
Seong-hoon, son premier film était d’ailleurs une comédie. Les médias ne sont
pas les seuls à vouloir s’accaparer la tragédie : le gouvernement, à travers
le personnage de la ministre, s’il met certes tout en œuvre pour la réussite de
l’opération, se donne surtout en spectacle. La femme de l’emmuré vivant est
ainsi contrainte de faire une série de photos avec les officiels dans une scène
à l’ironie grinçante. Si la problématique du tunnel n’est pas nouvelle (on se
souvient de Daylight, 1996), le film
de Kim Seong-hoon génère opportunément des scènes d’actions au niveau de son exiguïté
en y greffant une dimension politique qui donne toute sa dimension au propos. Le
réalisateur, également scénariste, ordonne avec son sens du rebondissement les
péripéties de l’en-bas soumises au diktat
de l’en-haut, surtout quand l’affaire
nationale commence à lasser… Le conducteur malheureux passe du statut de
victime à celui d’otage d’intérêts souterrains qui minent un sauvetage déjà
complexe techniquement pour ceux qui sont à l’air libre et humainement pour
celui qui sous terre : une simple goutte d’eau devient un graal inespéré. Tunnel fait de son principe d’enfermement
une dynamique huilée qui tient en haleine sans étouffer le spectateur : un
numéro d’équilibre sacrément réussi entre la profondeur et la surface.
08/05/2017
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